Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

brave garçon. Lorsque je suspendis à ton cou cette chaîne enchantée, qui, comme personne ne l’ignore dans ces îles, ne fut point fabriquée par des mains humaines, mais par celles des Drows, dans les retraites profondes de leurs cavernes, tu n’avais encore que quinze ans ; mais déjà tes pieds avaient foulé le Maiden-Skerrie du Northmaven, qui n’avait encore été foulé que par la patte membraneuse du swartback, et ta barque avait pénétré dans les plus profondes cavernes du Brinnattir, où le Haafe-fish[1] avait jadis dormi dans une complète obscurité. Ce fut pourquoi je te fis ce noble cadeau, et tu n’ignores pas que depuis ce jour, tous les yeux ouverts dans ces îles ont vu en toi un fils ou un frère, que tu as été plus favorisé que les autres jeunes gens, et protégé par ceux dont le pouvoir commence à l’heure où la nuit rencontre le jour[2]. — Hélas ! ma bonne mère, votre présent peut m’avoir concilié la faveur générale, répondit Mordaunt, mais il n’a pas eu la vertu de me la garder, ou j’ai été incapable de la garder moi-même… Mais qu’importe ? j’apprendrai à me passer des autres comme ils se passent de moi. Mon père m’a dit que je quitterais bientôt ces îles : je vous rendrai donc, Norna, votre présent enchanté, pour qu’il procure à d’autres un bonheur un peu plus durable que le mien. — Ne méprise pas les dons que tu tiens de cette race sans nom, » reprit Norna en fronçant le sourcil ; puis, quittant soudain son ton irrité pour en prendre un triste et solennel, elle ajouta : « Ne les méprise pas ; mais, ô Mordaunt, ne les ambitionne pas !… Assieds-toi sur cette pierre grise : je dépouillerai autant que possible les attributs qui me séparent de la masse commune de l’humanité, et je te parlerai comme une mère parle à son enfant. »

À ce ton mélancolique se joignait une dignité de langage et de

  1. Le grand veau marin, qui cherche les cavernes les plus solitaires pour y faire sa demeure. Voyez les Îles Shetland, par le docteur Edmonstone, vol. II, p. 294. (Note anglaise.) a. m.
  2. Les Drows ou Trows, successeurs légitimes des Dungas du Nord, et quelque peu alliés aux fées, habitent comme elles dans l’intérieur de vertes collines et au fond des cavernes, et sont très puissants à minuit. Ils travaillent artistement le fer, aussi bien que les métaux précieux, et sont quelquefois propices aux mortels, mais plus souvent capricieux et malveillants. Parmi le bas peuple des îles, leur existence forme encore un article de foi universelle. Dans les îles voisines de Feroë on les appelle Joddenskenland, c’est-à-dire, hommes souterrains ; et Lucas Jacobson Debes, qui les connaît particulièrement, nous assure qu’ils habitent dans des lieux souillés par des effusions de sang ou par l’exécution de quelques grands crimes. Ils ont un gouvernement qui semble monarchique. w. s.