Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/142

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femmes que j’aie vues de ma vie ne m’auraient pas repêché dans le Roost de Sumburgh. Je vous en prie, ne nous querellons pas ; car je prends M. Halcro à témoin que j’ai abattu le pavillon de beaupré et la voile du perroquet, et que, me tirassiez-vous une bordée, je ne pourrais vous rendre un seul coup. — Oui, oui, dit Halcro, il faut rester l’ami du capitaine Cleveland, Mordaunt. Ne rompez jamais une amitié parce qu’une femme est capricieuse. Pardieu ! mon cher, si elles étaient toujours de la même humeur, comment diable pourrions-nous faire toutes les chansons que nous faisons sur elles ? Le vieux Dryden lui-même, le vieux John de glorieuse mémoire, aurait eu peu à dire d’une fille sans caprices… autant vaudrait composer des vers sur un étang. Vos marées, vos roosts, vos courants, qui s’avancent, qui se refoulent, qui se heurtent, et qui se roulent… (par le ciel ! je suis en train de rimer, rien que d’y penser !) qui sourient un jour et font rage le lendemain, qui flattent et dévorent, qui nous charment et nous ruinent… voilà, voilà de quoi donner de l’âme à la poésie. Vous ai-je jamais récité mes Adieux à la jeune fille de Northmaven ?… C’était la pauvre Bet Stimbister, que j’ai appelée Mary par amour de l’euphonie, comme je me nomme Hacon, d’après mon grand ancêtre nommé Hacon Goldemund, ou Haco bouche d’or, qui aborda dans cette île avec Harold Harfager, dont il était le premier scalde !… Eh bien ! mais où en étais-je ?… Ah ! oui… pauvre Bet Stimbister, ce fut elle (et quelques petites dettes que j’avais) qui fut cause que je quittai les îles Hialtland (ce qui est plutôt leur nom véritable que Zetland ou Shetland), et que je pris le large dans le monde. J’ai bien couru depuis ce temps-là… J’ai fait mon chemin dans le monde, capitaine, comme peut le faire un mortel ayant une tête légère, une bourse légère, et un cœur aussi léger… Je me suis frayé un chemin, et j’ai payé mon voyage… soit en argent, soit en esprit… J’ai vu des rois changés et déposés, comme vous chasseriez un tenancier en dépit du bail… J’ai connu tous les esprits du siècle, et surtout John Dryden de glorieuse mémoire… Quel homme dans ces îles peut en dire autant sans mensonge ? J’ai pris une prise dans sa propre tabatière… Je vais vous dire comment ce bonheur m’est arrivé. — Mais, la chanson, monsieur Halcro ? dit le capitaine Cleveland. — La chanson ! » reprit Halcro en retenant le capitaine par un bouton ;… car il était trop accoutumé à voir ses auditeurs s’esquiver pendant le récit, pour ne pas employer tous les moyens possibles de les arrêter… « La chanson !