Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/220

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le cercle que tu éclaires… vis encore un instant pour que je dise le plus affreux, et puis plonge-toi quand tu voudras dans l’obscurité, aussi sombre que mon crime et mon chagrin. »

Tandis qu’elle parlait ainsi, elle réunit d’un côté le reste de la liqueur qui alimentait la lampe et ranima la flamme mourante ; puis, d’une voix creuse, et par phrases brisées, elle continua son récit.

« Je ne dois pas perdre mon temps en paroles. Mon amour fut découvert, mais non mon crime. Erland vint furieux à Pomona et m’emmena dans notre habitation solitaire de l’île d’Hoy. Il m’ordonna de ne plus revoir mon amant et de recevoir Magnus ; il consentait à oublier l’injustice du père lorsque le fils serait devenu mon époux. Hélas ! je ne méritais plus ses hommages… Mon seul but était de m’évader de la maison de mon père pour cacher ma honte dans les bras de mon amant. Je lui rendrai justice !… il fut fidèle… trop fidèle… sa perfidie m’aurait privée de la raison ; mais les fatales conséquences de sa fidélité m’ont été dix fois plus funestes. »

Elle s’arrêta, et puis continua sur le ton sauvage de la folie : « Sa fidélité m’a rendue la puissante et despotique souveraine des mers et des vents ! »

Elle s’arrêta une seconde fois après cette bizarre exclamation, et reprit son récit d’un ton plus calme.

« Mon amant vint en secret à Hoy pour convenir avec moi des mesures à prendre sur ma fuite, et j’acceptai un rendez-vous pour fixer le jour où son vaisseau entrerait dans le détroit. Je quittai la maison à minuit. »

Ici elle parut lutter contre une pénible agonie, et continua son histoire par phrases rompues et entrecoupées. « Je quittai la maison à minuit… j’avais à passer devant la porte de mon père, et je m’aperçus qu’elle était ouverte… je crus qu’il nous surveillait, et, pour que le bruit de mes pas ne troublât point son sommeil, je fermai la porte fatale… action toute simple, tout ordinaire… Mais, Dieu du ciel ! quelles furent les conséquences !… Au matin, la chambre était pleine d’une vapeur suffocante… mon père était mort… mort par ma faute, par ma désobéissance… mort par mon infamie ! Tout ce qui suit est ténèbres et obscurité… Une ombre fatale et terrible enveloppa tout ce que je pus dire ou faire, tout ce que j’avais dit ou fait jusqu’à l’instant où j’acquis la certitude que mon destin était rempli, et que j’étais devenue l’être impassible que vous voyez maintenant… la reine des éléments… l’égale en pouvoir de ces êtres à qui l’homme et ses passions procurent un