Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/249

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qu’ils consentent à exposer leur vie dans chaque aventure désespérée. Ne songez plus à de tels rêves : le Danemarck mutilé n’est plus qu’un royaume de seconde classe, incapable d’échanger une seule bordée avec l’Angleterre ; et dans l’archipel où nous sommes, l’amour de l’indépendance s’est éteint sous un long asservissement, et il ne se montre plus que par quelques grognements sourds au milieu des bols et des bouteilles. D’ailleurs, quand vos compatriotes feraient aussi vaillants que leurs ancêtres, que pourraient les équipages sans armes de vos bateaux pêcheurs contre la marine britannique ? N’y pensez donc plus, douce Minna ; c’est un rêve, et je dois l’appeler ainsi, quoiqu’il donne tant d’éclat à vos yeux, tant de noblesse à votre démarche. — Oh ! oui, c’est un rêve !» répéta Minna en baissant les yeux ; « et il convient mal à une fille d’Hialtland d’avoir l’air ou la tournure d’une femme libre : nos yeux doivent regarder la terre, et nos pas doivent être lents et peu empressés comme ceux de l’esclave qui obéit à l’ordre d’un maître. — Il est des régions, dit Cleveland, où l’œil peut promener ses brillants regards sur des bosquets de palmiers et de cocotiers ; où le pied peut glisser aussi légèrement qu’une galère avec sa voile sur des prairies émaillées de fleurs et dans des savanes ombragées de bois parfumés ; des régions où la servitude est inconnue, excepté celle du brave au plus brave, et celle de tous à la plus belle. »

Minna réfléchit un moment avant de répondre, et dit enfin : « Non, Cleveland, mon sauvage pays a des charmes pour moi : tout affreux qu’il vous semble, tout méprisé qu’il soit, il a pour moi des charmes qu’aucune autre contrée au monde ne pourrait m’offrir. Je m’efforce en vain de me représenter ces arbres, ces bosquets que mes yeux n’ont jamais vus ; mon imagination ne peut concevoir aucun spectacle dans la nature plus sublime que ces vagues, quand elles sont agitées par la tempête, et plus beau que lorsqu’elles viennent, comme à cette heure, rouler calmes et tranquilles sur le rivage. Non, le plus séduisant paysage d’une contrée étrangère, ni le plus brillant soleil qui ait jamais lui sur la plus riche perspective, ne distrairaient pas un instant mes pensées de ce roc escarpé, de cette montagne couronnée de brouillards, de cet Océan sans bornes ; l’Hialtland est la terre où moururent mes aïeux, où vit mon père ; et dans l’Hialtland, je veux vivre et mourir ! — Alors, je veux aussi vivre et mourir dans l’Hialtland. Je n’irai pas à Kirkwall… je ne ferai pas même savoir à mes camarades que j’existe ; car autrement, il