Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/356

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êtes-vous déjà si fatigué de moi, que vous ne puissiez vous abstenir de montrer combien vous souhaitez vivement de vous éloigner pendant les premiers jours d’une vie que je vous ai rendue ? — Vous me faites injure, ma chère protectrice, répondit Mordaunt, je ne suis point las de votre société ; mais j’ai à remplir des devoirs qui me rappellent à la vie ordinaire. — Des devoirs ! répéta Norna ; et quels devoirs peuvent s’opposer à la reconnaissance que vous me devez ?… Des devoirs ! vous pensez sans doute à tirer des coups de fusil, ou à gravir des rochers pour dénicher un oiseau de mer ? Vos forces ne sont pas encore assez rétablies pour de tels exercices, et pourtant voilà les devoirs auxquels vous êtes si empressé de revenir ! — Nullement, ma bonne et chère dame ; et pour nommer un des nombreux devoirs qui me font désirer de vous quitter à présent que j’en ai la force, permettez-moi de mentionner celui d’un fils envers son père. — Envers votre père ? » dit Norna avec un sourire ironique qui avait quelque chose de frénétique. « Oh ! vous ne savez pas comment nous pouvons, dans ces îles, nous débarrasser d’un seul coup de ces devoirs ! Mais, quant à votre père, » ajouta-t-elle d’un ton plus calme, « qu’a-t-il fait pour vous, qui mérite les soins et les égards dont vous parlez ? N’est-ce pas lui, comme vous me l’avez jadis conté, qui vous laissa tant d’années entre des mains étrangères et dans la pauvreté, sans demander si vous étiez mort ou vivant, et se contentant d’envoyer de temps à autre aux gens qui vous élevaient de modiques secours, comme on jette l’aumône à un lépreux qu’on n’oserait approcher ? Et, durant ces dernières années où il a fait de vous le compagnon de sa misère, il a été parfois votre pédagogue, parfois votre bourreau, mais jamais, Mordaunt, jamais votre père. — Il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites ; mon père n’est pas aimant, mais il est et fut toujours réellement bon. L’affection ne vient pas à volonté ; et le devoir d’un fils est de se montrer reconnaissant des bienfaits qu’il reçoit de son père, lors même qu’il les accorde avec froideur. Mon père a pris soin de mon éducation, et je suis convaincu qu’il m’aime. Il est malheureux, et quand même il ne m’aimerait pas… — Et il ne vous aime pas, » interrompit Norna brusquement ; « il n’a jamais aimé rien ni personne que lui-même… Il est malheureux, mais son malheur est bien mérité… Mordaunt, vous avez une mère du moins… une mère qui vous aime comme les gouttes de sang de son cœur ! — Je sais qu’il ne me reste que mon père, ma mère est morte depuis long-temps ; vous êtes dans