Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/378

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à ma charge, je ne puis guère m’absenter… la femme du doyen des baillis est en couche… notre trésorier ne peut supporter la mer… sur nos quatre baillis deux ont la goutte… les deux autres sont absents de la ville… et les quinze autres membres du conseil sont tous retenus par des occupations privées. — Tout ce que je puis vous dire, monsieur le maire, » dit Cleveland en élevant la voix, « c’est que je n’entends bien… — Un moment de patience, s’il vous plaît, capitaine… » reprit le prévôt en l’interrompant. « De sorte que nous avons décidé que M. Triptolème Yellowley, qui est facteur du lord chambellan dans ces îles, sera, à cause de cette dignité, admis de préférence à l’honneur et au plaisir de vous accompagner. — Moi ! » s’écria Triptolème étonné ; « que diable irai-je faire dans vos voyages ? Je n’ai affaire que sur la terre ferme. — Ces messieurs ont besoin d’un pilote, « murmura le prévôt à l’oreille de Triptolème, « on ne peut leur refuser cela. — Ont-ils donc besoin d’échouer sur la côte ? reprit le facteur… Comment diable leur servirai-je de pilote, moi qui n’ai jamais touché un gouvernail de ma vie ? — Chut ! chut ! silence ! dit le prévôt ; si les habitans de cette ville vous entendaient tenir un tel propos, votre importance, votre mérite, votre rang seraient perdus pour vous ! On n’est rien pour nous autres insulaires quand on ne sait ni diriger, ni gouverner, ni manœuvrer un navire. D’ailleurs, c’est seulement pour la forme, et nous enverrons le vieux Pate Sinclair pour vous aider ; vous n’aurez pour toute besogne qu’à boire, à manger et à vous divertir tout le jour. — À boire et à manger ! » répéta le facteur qui ne pouvait comprendre pourquoi on le pressait si fort d’accepter un pareil emploi, et qui pourtant était incapable de se débarrasser des filets du malin prévôt. « Manger et boire ! c’est bel et bon ; mais, pour dire la vérité, je n’aime pas la mer plus que M. le trésorier, et j’ai toujours meilleur appétit à terre. — Chut ! chut ! chut ! » dit encore le prévôt à voix basse et d’un ton suppliant ; « voulez-vous donc ruiner votre réputation de fond en comble ?… Être facteur du haut chambellan des îles Orcades et Shetland, et ne pas aimer la mer ! Vous pourriez aussi bien dire que vous êtes montagnard et que vous n’aimez pas l’eau-de-vie ! — Il faut pourtant que vous en finissiez, messieurs, dit le capitaine Cleveland ; nous devrions déjà être partis… Monsieur Triptolème Yellowley, allons-nous être honorés de votre compagnie ? — À coup sûr, capitaine Cleveland, balbutia le facteur, je n’ai pas d’objections à faire, j’irai partout avec vous… seulement…