Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/50

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coins ! » Cette nouvelle explication des fantaisies de la fortune donna des convulsions de rire à tous les membres de l’auditoire, excepté à un gros alderman qui sembla croire que le cas était le sien, et qui prétendit que ce n’était point matière à plaisanter. Pour appliquer ici la comparaison qui est excellente, il est clair que Triptolème était sorti du sac au moins cent ans trop tôt. S’il eût paru sur la scène à notre époque, c’est-à-dire, s’il eût fleuri depuis trente ou quarante années, il n’aurait pas manqué une place de vice-président dans quelque éminente société d’agriculture, et eût fait toute la besogne sous les auspices de quelque noble duc ou lord qui aurait ou n’aurait pas connu la différence qui existe entre un cheval et une charrette. Il n’aurait pu manquer une pareille dignité, car il était excessivement fort sur tous ces détails qui, sans avoir aucune utilité dans la pratique réelle, contribuent beaucoup à constituer le talent d’un connaisseur en tout art, mais surtout en agriculture. Mais, hélas ! Triptolème Yellowley, comme on le sait déjà, était venu au monde un siècle au moins trop tôt. Au lieu de s’asseoir dans un fauteuil, avec un marteau en main et une rasade de Porto devant lui, portant le toast de… « Aux élèves en tout genre ! » son père le planta entre les deux manches d’une charrue, et l’invita à diriger les bœufs dont il aurait de nos jours vanté emphatiquement la beauté, et dont il n’aurait pas aiguillonné, mais découpé les flancs. Le vieux Jasper se plaignait de ce que si personne ne parlait si bien de prairies et de jachères, de froment et de raves, de semences et de récoltes, que son savant fils (qu’il appelait toujours Tolème), « pourtant, et malgré tout, ajoutait le Sénèque, nous n’y gagnons rien… nous n’y gagnons rien. » Ce fut bien pis lorsque Jasper, devenant vieux et débile, fut obligé, comme il arriva au bout de quelques années, de céder graduellement les rênes de l’administration au néophyte académique.

Comme si la nature eût voulu l’éprouver, Triptolème exploitait la ferme la plus difficile et la plus ingrate des Mearns, si bien que toute peine était vaine. C’était un terrain qui produisait tout, sinon ce dont un laboureur a besoin ; car il y avait abondance de chardons, ce qui indique une terre ferme ; et quantité de fougère, ce qui dénote, dit-on, un sol creux ; et puis des orties, qui montrent qu’un champ fut jadis marné ; et puis des sillons très profonds dans les endroits les plus mal choisis, ce qui prouvait que ces terres avaient été autrefois cultivées par les Peghts[1], comme le disait une

  1. Les Pictes. a. m.