Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/52

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paraissait aux yeux du monde avoir renoncé à ces deux fonctions animales ; on découvrit malheureusement qu’il avait une intrigue avec la cuisinière de la maison, qui l’indemnisait de ses privations en lui donnant ses entrées particulières à l’office, et une place dans son propre lit. Mais aucune de ces fraudes n’était employée par Barbara Yellowley. Elle se levait matin, se couchait tard, et paraissait aux servantes, qui dormaient trop peu et travaillaient trop fort, aussi éveillée que le chat. Quant aux vivres, elle semblait se nourrir d’air, et aurait bien voulu ne donner que ce plat à son monde. Son frère, qui, outre ses habitudes d’indolence, avait l’appétit très vif, désirait de temps à autre goûter une bouchée de viande, ne fût-ce que pour reconnaître si ses moutons engraissaient ; mais la proposition de manger un enfant n’aurait pas effrayé davantage miss Barbara ; et Triptolème, avec son caractère commode et facile, se résignait à la nécessité d’un carême perpétuel, trop heureux quand il pouvait étaler un méchant morceau de beurre sur son gâteau d’avoine, ou se soustraire, vu qu’ils demeuraient sur les bords de l’Eske, à l’obligation de manger du saumon six ou sept jours sur sept, qu’on fût ou non dans la saison.

Mais quoique miss Barbara mît fidèlement en commun toutes les épargnes que son merveilleux talent pour l’économie parvenait à amasser ; quoique le douaire que leur mère avait laissé s’en allât peu à peu, et fût presque tout dépensé à force d’y recourir dans de grandes occasions, le terme approchait enfin où il semblait impossible qu’ils pussent continuer long-temps à lutter contre la mauvaise étoile de Triptolème, comme il le disait lui-même, ou, comme disaient les autres, contre le résultat de ses absurdes spéculations. Heureusement que dans cette crise un dieu, lancé du ciel comme par une machine, vint à son secours. Pour parler clairement, le noble lord qui possédait leur ferme arriva à son château dans le voisinage, avec son carrosse à six chevaux et ses piqueurs en avant, dans tout le luxe du dix-septième siècle.

Ce personnage de qualité était fils du seigneur qui avait amené le vieux Jasper du comté d’York dans ce pays, et avait pourtant bien spéculé pour lui-même au milieu des révolutions de l’époque, car il avait obtenu pour bon nombre d’années l’administration des îles Orcades et Shetland, en paiement d’une certaine rente, avec droit de disposer à son gré de tout ce qui composait le domaine ou le revenu de la couronne dans ces provinces éloignées, sous le titre de lord chambellan. Or Sa Seigneurie se trouvait avoir une idée