Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 16, 1838.djvu/74

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tion ; ils croyaient dès long-temps à l’étendue sans bornes de l’empire de Norna sur les éléments. Mais Triptolème et sa sœur se lancèrent l’un à l’autre des œillades d’étonnement et de crainte, surtout quand le vent commença à se ralentir d’une manière sensible, comme on pouvait surtout s’en apercevoir dans les intervalles que Norna mettait entre les strophes de son chant magique. Un long silence succéda à la dernière strophe, jusqu’à ce que Norna se remît à chanter, mais sur un autre air et d’un ton plus doux :

Aigle des eaux lointaines du nord-ouest,
Tu as entendu la voix de la Reim-Kennar ;
À son ordre tu as replié les voiles immenses,
Et les a rassemblées paisibles le long de tes flancs.
Que ma bénédiction t’accompagne dans ta retraite,
Quand tu descends de ton poste sublime !
Calme soit ton sommeil dans les cavernes inconnues de l’Océan,
Repose jusqu’à ce que le destin t’éveille de nouveau :
Aigle du nord-ouest, tu as entendu la voix de la Reim-Kennar.

« Jolie chanson, que celle qui pourrait empêcher le grain de se coucher avant la récolte ! » murmura le cultivateur à sa sœur ; « il faut lui parler respectueusement, Baby… Elle voudra bien, peut-être, nous confier son secret pour une centaine de livres écossaises. — Une centaine de têtes de niais, répliqua Baby… Proposez-lui cinq marcs d’argent comptant ; je n’ai jamais ouï parler de sorcière qui ne fût pauvre comme Job. »

Norna se retourna vers eux, comme si elle eût deviné leurs pensées ; peut-être les connaissait-elle en effet. Elle passa devant le frère et la sœur en leur jetant un regard du plus souverain mépris, et s’approchant de la table sur laquelle les préparatifs du repas frugal de mistress Barbara étaient déjà faits, elle versa dans une petite tasse de bois un peu de bland, breuvage légèrement acide, fait avec la partie séreuse du lait, et qui était renfermé dans une grande cruche de terre. Elle rompit une seule bouchée de pain d’orge, et, après avoir bu et mangé, elle revint vers ses hôtes incivils. « Je ne vous remercie pas, dit-elle, de cette nourriture, car je n’ai pas été la bienvenue à votre table ; et les remercîments donnés à l’avare sont comme la rosée du ciel sur les rocs de Foulah, où elle ne peut rien rafraîchir par son influence. Je ne vous remercie pas, répéta-t-elle ; je vous paye d’un métal que vous estimez plus que la reconnaissance de tous les habitants d’Hialtland. Ne dites pas que Norna de Fitful-Head a mangé de votre pain et bu dans votre verre, et qu’elle vous a laissés en peine pour la dépense qu’elle a causée dans