Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/134

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à son esprit sur le triste sort de cette famille, sur la mort de mistress Bridgenorth, avec qui elle s’était promenée si souvent dans cette même avenue, et qui, bien que dépourvue d’un esprit supérieur et cultivé, avait su toujours lui témoigner à propos son respect et sa reconnaissance. Elle songeait aux pertes cruelles de cette malheureuse femme, à sa mort prématurée, au désespoir de son mari, à l’exil volontaire de ce dernier, à l’avenir incertain de leur enfant, orpheline pour laquelle elle éprouvait encore, même après un intervalle de plusieurs années, une tendresse presque maternelle.

Telles étaient les pensées mélancoliques qui préoccupaient son esprit, lorsque, arrivée au milieu de l’avenue, elle crut apercevoir, à la lueur incertaine et entrecoupée qui pénétrait à travers le feuillage, quelque chose de semblable à une figure humaine. Lady Peveril s’arrêta un instant, mais bientôt elle se remit en marche. Peut-être paya-t-elle un tribut à la superstition du temps par quelques battements plus précipités de son cœur ; mais elle eut bientôt repoussé toute idée d’apparition surnaturelle. Quant aux vivants, elle n’avait rien à en redouter. Un braconnier était l’ennemi le plus dangereux qu’elle pût rencontrer, et même, dans cette supposition, il était vraisemblable qu’il chercherait à éviter d’être vu. Elle s’avança donc d’un pas ferme, et vit avec satisfaction que la figure qu’elle avait aperçue lui cédait la place, ainsi qu’elle s’y était attendue, et se glissait entre les arbres sur la gauche de l’avenue. En passant devant l’endroit où cette forme venait de lui apparaître, elle ne put s’empêcher de presser le pas, à la pensée que ce rôdeur de nuit pouvait, devait même être tout près d’elle, et elle le fit avec si peu de précaution que, son pied heurtant contre une branche d’arbre que le vent avait brisée et jetée à terre, elle tomba en poussant un grand cri. Une main vigoureuse, qui la saisit aussitôt pour l’aider à se relever, accrut encore son effroi, et au même instant une voix qui ne lui était pas étrangère prononça ces paroles : « N’est-ce pas vous, lady Peveril ? — C’est moi, » répondit-elle en réprimant sa surprise et sa frayeur ; « et si mon oreille ne m’abuse pas, je parle au major Bridgenorth ? — En effet, je me nommais ainsi, dit-il, lorsque l’oppression ne m’avait point ôté mon nom. »

Il se tut et continua de marcher à côté d’elle dans le plus profond silence. Lady Peveril se sentait fort embarrassée ; et pour sortir de cette situation, aussi bien que pour satisfaire le besoin