Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/135

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de son cœur, elle lui demanda comment se portait sa filleule Alice. — Je ne sais ce que c’est qu’une filleule, madame, répondit Bridgenorth. C’est là un de ces noms introduits par la corruption et l’avilissement des lois de Dieu. Quant à l’enfant qui doit la vie et la santé à Votre Seigneurie, puisque tel est votre titre mondain, c’est aujourd’hui une jeune fille fraîche et bien portante, d’après ce que m’apprennent ceux auxquels elle est confiée, car je ne l’ai pas vue depuis quelque temps. Mais, madame, c’est le souvenir de ce qu’elle vous doit et l’effroi que m’a causé votre chute qui m’ont déterminé à me montrer à vous ; car, sous beaucoup de rapports, j’agis avec une imprudence qui peut être fatale à ma sûreté. — Votre sûreté, monsieur Bridgenorth ! dit lady Peveril, je n’aurais jamais cru qu’elle fût en danger. — Vous avez donc quelques nouvelles à apprendre encore, madame ; mais vous saurez demain les raisons pour lesquelles je dois craindre de me montrer ouvertement, même dans mes propres domaines, et pour lesquelles il y aurait de l’imprudence à faire connaître ma résidence actuelle à aucun des habitants du château de Martindale. — Monsieur Bridgenorth, dit lady Peveril, vous étiez autrefois prudent et circonspect ; j’espère que vous ne vous êtes laissé entraîner à aucune démarche précipitée, à aucun projet téméraire ; j’espère… — Pardon, madame, si je vous interromps, reprit Bridgenorth. Je ne suis plus le même, il est vrai… Oui, mon cœur a subi en moi bien du changement. Dans les temps auxquels il plaît à Votre Seigneurie de faire allusion, j’étais encore un homme du monde, et je lui dévouais toutes mes pensées, toutes mes actions, sauf quelques pratiques religieuses de pure forme ; je connaissais bien peu quels étaient les devoirs d’un chrétien, et jusqu’où doit s’étendre son abnégation de lui-même, puisque sa foi lui prescrit de donner tout comme s’il ne donnait rien. Mes pensées n’étaient relatives qu’aux objets terrestres, qu’aux moyens d’ajouter champ sur champ, d’entasser richesses sur richesses ; je ne songeais qu’à me ménager entre les différents partis, qu’à m’assurer un ami d’un côté sans en perdre un de l’autre. Mais le ciel m’a puni de cette apostasie d’autant plus criminelle, qu’adorateur aveugle et charnel de nos seules volontés, j’abusais du nom sacré de la religion et ne cherchais que mon propre intérêt. Mais je rends grâce à celui qui m’a retiré de la terre d’Égypte. »

Quoique de nos jours nous ayons parmi nous beaucoup d’exemples d’enthousiasme, nous n’en soupçonnerions pas moins d’hy-