Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/199

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l’ai donné, pour jouer, à mon singe Gibbon : il se lamentait si piteusement pour l’avoir ! Fasse le ciel qu’il ne lui ait pas pris envie d’enrichir le vaste sein de l’Océan du symbole de ma souveraineté ! — Grand Dieu ! » s’écria la comtesse tremblante et rougissant de colère ; « c’était le sceau de votre père ! le dernier gage de tendresse qu’il m’envoya avec sa bénédiction paternelle pour toi, Philippe, la nuit qui précéda son assassinat à Bolton ! — Ma mère ! ô ma mère ! » s’écria le comte, sortant cette fois de son apathie ordinaire, et lui prenant la main, qu’il baisa tendrement ; rassurez-vous, ce n’était qu’une plaisanterie : le sceau est en sûreté, Peveril peut l’attester. Va le chercher, Julien, pour l’amour du ciel ; voici mes clefs : il est dans le premier tiroir de mon nécessaire de voyage. Maintenant, ma mère, pardonnez-moi, ce n’était qu’une mauvaise plaisanterie bien mal imaginée, désobligeante, de mauvais goût, je le reconnais. Ce n’est enfin qu’une des folies de Philippe. Regardez-moi, ma mère bien-aimée, et dites que vous me pardonnez. »

La comtesse tourna vers lui ses regards, et un torrent de larmes coula de ses yeux.

« Philippe, lui dit-elle, vous mettez ma tendresse à des épreuves trop dures, trop cruelles. Si les temps sont changés, comme vous le prétendez, si la dignité du rang et les généreux sentiments de l’honneur et du devoir ont fait place à de vains jeux de mots et à de misérables frivolités, souffrez que moi, du moins, qui vis retirée du monde, je meure sans m’apercevoir de ces changements, surtout dans mon propre fils ; souffrez que je n’entende point parler de l’empire funeste de cette légèreté coupable qui se rit de tout sentiment de noblesse et de dignité. Laissez-moi croire que, lorsque j’aurai cessé de vivre… — Ô ma mère ! ne prononcez pas de telles paroles, » dit le comte en l’interrompant avec l’accent de la tendresse. « Il est vrai que je ne puis promettre d’être ce que fut mon père et ce que furent ses ancêtres ; car nous portons des habits de soie au lieu de leurs cottes de mailles, et un chapeau à plumes en place de leur casque surmonté d’un panache. Mais croyez-moi, quoique la nature ne m’ait pas donné les qualités propres à devenir un Palmerin d’Angleterre, nul fils n’aima jamais sa mère plus tendrement, et ne fut plus disposé à faire tout pour lui plaire. Et pour que vous puissiez me croire, non seulement je vais sceller ces warrants, au risque de brûler mes précieux doigts,