Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/204

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tèrent à l’instant vers Alice, en supposant qu’elles se fussent jamais détournées d’elle.

« Vraiment non, je ne l’adopte aucunement, dit le comte. La mort de Christian m’a déjà coûté la plus belle moitié de mon héritage ; et je n’ai nulle envie d’encourir le déplaisir de mon royal frère le roi Charles, par une nouvelle équipée du même genre. Mais comment apaiser ma mère ? je l’ignore. Je voudrais que l’insurrection éclatât ; car, étant mieux armés que ces coquins ne sauraient l’être, nous pourrions tomber sur eux et les assommer ; et, puisqu’ils auraient commencé la querelle, le droit serait de notre côté. — Ne vaudrait-il pas mieux, dit Peveril, chercher quelque moyen pour déterminer ces gens à quitter l’île ? — Sans doute, répondit le comte, mais cela ne sera pas facile. Ils sont opiniâtres sur leurs principes, et de vaines menaces ne les effraieront pas. Ce vent de tempête qui souille à Londres gonfle leurs voiles, et ils continueront à voguer sous cette influence, vous pouvez y compter. Cependant j’ai envoyé des ordres pour qu’on s’emparât des habitants de l’île sur les secours desquels ils comptent ; et si l’on peut mettre la main sur Leurs deux Seigneuries, Christian et Bridgenorth, il ne manque pas de sloops dans le port, et je prendrai la liberté de leur faire faire une promenade si éloignée que les affaires seront arrangées et l’ordre rétabli, je l’espère, avant qu’ils aient eu le temps de revenir. »

En ce moment, un soldat de la garnison s’approcha des deux jeunes gens avec toutes les marques du plus profond respect.

« Qu’est-ce ? ami, lui dit le comte ; laisse là tes révérences, et dis-nous ce qui l’amène. »

Le soldat, qui était un insulaire, répondit en langue de Man qu’il avait une lettre pour Son Honneur monsieur Julien Peveril. Julien saisit la lettre précipitamment, en demandant d’où elle venait.

« Elle m’a été remise par une jeune femme qui m’a donné une pièce d’argent, en me recommandant de ne la remettre qu’entre les mains de monsieur Peveril, répondit le soldat. — Tu es un heureux coquin, Julien ! dit le comte ; avec ton front grave et ton air de sagesse précoce, tu souffles l’amour aux filles sans attendre qu’elles l’en demandent, tandis que moi, qui suis leur très-humble vassal, je pers mon temps et mes paroles sans obtenir un mot, un regard, encore moins un billet doux. »

Ces dernières paroles furent prononcées avec un certain sourire