Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/233

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provenait du souvenir de la querelle qu’ils avaient eue ensemble le matin, Peveril chercha à lui rendre sa gaieté habituelle en lui faisant comprendre qu’il n’en conservait aucun souvenir désagréable. Il lui sourit avec amitié, prit sa main dans l’une des siennes, tandis qu’avec la familiarité d’un homme qui la connaissait depuis son enfance, il passait l’autre dans les longues tresses de ses cheveux noirs. Elle baissa la tête comme si elle eût été honteuse à la fois et flattée de cette caresse. Il la continuait, lorsque tout à coup, sous le voile que formait la riche et abondante chevelure, il sentit son autre main, qui tenait encore celle de Fenella, effleurée par les lèvres de la petite muette, et mouillée d’une larme.

À l’instant, et pour la première fois de sa vie, il éprouva la crainte que ces témoignages de simple amitié ne fussent mal interprétés par une jeune fille étrangère aux ressources ordinaires du langage. Il retira sa main, changea d’attitude, et lui demanda, par un signe que l’habitude leur avait rendu familier, si elle lui apportait quelque message de la part de la comtesse. La contenance de Fenella changea aussitôt. Elle tressaillit, reprit sa première posture sur le tabouret avec la rapidité de l’éclair, et, relevant ses beaux cheveux, les arrangea gracieusement sur sa tête. Lorsqu’elle leva les yeux sur Julien, ses joues brunes étaient encore couvertes du coloris de la pudeur ; mais l’expression languissante et mélancolique de ses regards avait fait place à cette vivacité singulière qui leur était habituelle, et qui dans ce moment parut s’animer davantage. Elle répondit à la question de Julien en posant la main sur son cœur, geste par lequel elle désignait toujours la comtesse ; puis se levant et se dirigeant vers l’appartement de sa maîtresse, elle fit signe à Julien de la suivre. Il y avait peu de distance de la salle à manger à celle où le conduisait son guide muet ; mais en la parcourant, Julien souffrit de la crainte pénible que cette jeune infortunée n’eût mal interprété la constante bienveillance qu’il avait montrée à son égard, et n’eût conçu pour lui un sentiment plus tendre que celui de l’amitié. Le malheur dans lequel une telle passion pouvait plonger une pauvre créature déjà tant à plaindre et maîtrisée par une ardente sensibilité, lui paraissait tellement déplorable qu’il s’efforça d’en écarter la pensée, et forma la résolution de se conduire désormais à l’égard de Fenella de manière à réprimer un sentiment dangereux et inutile ; si en effet elle était assez malheureuse pour l’avoir conçu.