Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/266

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rendre raison, je ne l’ose ; car notre cher homme prétend que cette ale est trop forte pour les femmes. Je me contente de boire de temps à autre un verre de vin des Canaries avec une voisine ou avec quelqu’une de mes pratiques. — Vous en boirez donc un verre avec moi, chère hôtesse, dit Peveril, si vous voulez m’en donner un flacon. — Vous l’aurez, monsieur, et aussi bon qu’aucun de ceux qui aient jamais été bus, mais il faut que j’aille au moulin afin de demander la clef à notre homme. »

En parlant ainsi, elle retroussa sa robe dans ses poches, afin de marcher d’un pas plus alerte et de garantir ses vêtements de la poussière, et elle courut au moulin, qui était tout près de là.


« Elle est gentille et dangereuse
La jeune épouse du meunier, »


dit l’étranger en regardant Peveril. « N’est-ce pas là ce que dit Chaucer. — Je… je crois que oui, » répondit Julien, qui n’avait jamais lu Chaucer (à cette époque on le lisait encore moins qu’à présent), et qui était fort surpris d’entendre une pareille citation sortir de la bouche d’un homme à tournure mesquine.

« Oui, reprit l’étranger, je vois que, comme tous les jeunes gens du temps, vous connaissez mieux Cowley et Waller que « la source du pur anglais. » Je ne puis m’empêcher d’être d’un avis différent. Il y a dans le vieux barde de Woodstock un naturel qui vaut toutes les tournures spirituelles et travaillées de Cowley, et toute la simplicité artificielle du courtisan son émule. Je citerai pour exemple le portrait de la coquette de village :


Elle était fantasque et légère
Comme la biche aventurière ;
Fraîche comme une tendre fleur,
Droite comme un trait du chasseur.


Et de la passion, où en trouverez-vous davantage que dans la scène de la mort d’Arcite ?


Ô reine de mon âme ! ô toi, femme accomplie !
Toi qui m’as su donner, toi qui m’ôtes la vie ;
Qu’est-ce donc que ce monde, et qu’y vient-on chercher ?
L’homme y cherche l’amour afin de s’attacher ;
S’il le trouve, aussitôt la mort, toujours pressée,
Le fait descendre seul dans la tombe glacée.


Mais je vous fatigue, monsieur, et je sers mal le poète que je ne cite que par lambeaux. — Au contraire, monsieur, répondit Peveril, vous me rendez Chaucer plus intelligible que je ne l’ai trouvé quand j’ai essayé de le lire. — Vous vous êtes probable-