Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/335

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vous avez déjà pris votre parti, et désormais vous devez être étrangers l’un à l’autre. Je puis avoir désiré qu’il en fût autrement ; mais vous avez laissé passer l’heure de grâce pendant laquelle votre docilité à suivre mes avis aurait pu, je dois le dire avec sincérité, vous conduire à être unis tous deux. Quant à son bonheur, si un tel mot peut s’appliquer à notre pèlerinage sur la terre, j’y veillerai. Elle part aujourd’hui de Moultrassie-House sous la sauve garde d’un ami sûr. — D’un ami sûr !… s’écria Peveril. Ce n’est pas sans doute… » et il se tut subitement, car il sentit qu’il n’avait aucun droit de prononcer le nom qui se présentait sur ses lèvres.

« Pourquoi vous interrompez-vous ? lui demanda le major ; une pensée soudaine est souvent sage et presque toujours honnête. À qui supposez-vous que je puisse confier mon enfant, puisque cette idée vous arrache une expression d’inquiétude ? — Je vous demande encore pardon, répondit Julien, d’oser me mêler d’une affaire dans laquelle je n’ai aucun droit d’intervenir ; mais j’ai vu ici un homme qui ne m’est point inconnu : il se donne le nom de Ganlesse. Est-ce à lui que vous avez l’intention de confier votre fille ? — À lui-même, » répondit le major, sans montrer ni mécontentement ni surprise.

« Et connaissez-vous bien celui à qui vous remettez un dépôt si cher à tous ceux qui connaissent miss Alice, un dépôt si précieux à vous-même ? demanda Julien. — Le connaissez-vous, vous qui me faites cette question ? répondit le major. — J’avoue que je ne sais qui il est, reprit Julien ; mais je l’ai vu jouer un rôle si différent de celui qu’il joue en ce moment, que je crois de mon devoir de vous avertir de prendre garde avant de confier votre enfant à un homme qui peut alternativement faire le débauché ou l’hypocrite, selon son caprice ou son intérêt. — Je pourrais, » dit Bridgenorth avec un sourire de dédain, « m’offenser quelque peu du zèle officieux d’un jeune homme qui s’imagine que les rêves de son âge peuvent servir de leçon à mes cheveux gris, mais, mon bon Julien, tout ce que j’exige de vous, c’est de me rendre la justice de croire que moi, qui ai tant vécu avec les hommes, je dois savoir à qui je confie ce que j’ai de plus cher. Celui dont tu parles a un visage pour ses amis, quoiqu’il puisse en avoir un pour le monde, et cela parce qu’il vit au milieu de gens devant lesquels les traits de l’honneur et de la vertu doivent se cacher sous un masque grotesque, comme dans ces divertisse-