Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/337

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Lance, après avoir longuement débité ces nouvelles, déclara, non sans un peu d’hésitation, qu’il avait résolu de quitter le pays, et de suivre son jeune maître à Londres. Julien discuta sur ce sujet avec lui, insistant pour qu’il restât avec sa tante, qui pouvait être inquiétée pendant le séjour de ces étrangers au château. Lance répondit qu’elle avait avec elle une autre personne qui la protégerait ; que d’ailleurs elle avait les moyens nécessaires pour acheter une protection, même parmi de telles gens ; mais que, quant à lui, il était décidée ne se séparer de son jeune maître qu’à la mort.

Julien, vivement touché, le remercia de cette preuve d’attachement.

« Pour parler franchement, dit Lance-Outram, l’attachement, bien que réel, n’est pas la seule et unique cause qui me fasse prendre ce parti ; c’est aussi un peu par la crainte d’être inquiété pour l’affaire de la nuit passée. — J’écrirai au major Bridgenorth en votre faveur, dit Julien ; vous ne devez avoir aucune crainte, il s’est engagé formellement à ne pas vous poursuivre. — Ce n’est pas plus tout à fait par crainte que tout à fait par attachement, » reprit le garde forestier d’un air énigmatique, « quoique ces deux motifs entrent pour beaucoup dans ma résolution. Pour parler clairement, je vous dirai que dame Deborah Debbitch et ma tante Ellesmère ont résolu d’attacher leurs chevaux au même râtelier et d’oublier leurs anciennes querelles. Or, de tous les revenants de ce monde, le pire est une ancienne maîtresse, qui reparaît pour tourmenter un pauvre diable comme moi. Mistress Deborah, quoique assez chagrine de la perte de sa place, a déjà parlé d’un demi-schelling que nous avons rompu[1] ensemble, et de je ne sais quels autres gages d’amour qu’elle dit avoir reçus de moi, comme si un homme pouvait se souvenir de pareilles babioles après tant d’années, et comme si elle-même n’avait pas pris sa volée par-delà les mers, ainsi qu’une bécasse. »

Julien eut peine à s’empêcher de rire. « Je vous croyais assez de caractère, Lance, pour ne pas craindre qu’une femme vous épousât bon gré mal gré. — C’est un malheur qui est pourtant arrivé à plus d’un honnête homme, dit Lance ; et quand une femme est dans la même maison que vous, elle a tant d’occasions de

  1. Rompre une pièce d’or ou d’argent, est, en Écosse, une cérémonie emblématique pratiquée entre deux amants forcés de se séparer. Ils rompent la pièce en deux portions, et chacun porte la sienne sur son cœur, où elle reste jusqu’au retour, pour être échangée en signe de fidélité ; le refus équivaut à un manque de foi. a. m.