Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/352

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« Tiens, Tom, dit Chiffinch, voilà cinq pièces d’or pour toi… — Que dois-je faire ? dit Tom, » sans même se donner la peine de remercier son maître, parce qu’il se doutait bien que le paiement ne vaudrait pas le service qu’il allait lui demander.

« Monte à cheval, Tom, et cours comme si le diable t’emportait… Il faut absolument rejoindre le messager que lord Saville a envoyé ce matin à Londres, le mettre avec son cheval hors d’état d’aller plus loin, et faire entrer autant de vin dans son estomac qu’il y a d’eau dans la mer Baltique ; employer enfin tout ce que tu croiras convenable pour l’empêcher de continuer son voyage… Eh bien ! imbécile, pourquoi ne me réponds-tu pas ? est-ce que tu ne me comprends pas ? — Pardon, maître Chiffinch, dit Tom, je vous entends et je pense qu’il en est de même de ce brave homme que voilà, et qui n’avait peut-être pas besoin d’entendre tout, à moins que ce ne soit votre intention. — Il faut que je sois ensorcelé ce matin, » se dit Chiffinch en lui-même, « ou que le Champagne me travaille encore la tête… Ma cervelle est comme les marais de Hollande, le moindre verre de vin suffirait pour y causer une inondation. Écoute, dit-il à Lance, et retiens ce que je vais te dire : il s’agit d’une gageure que nous avons faite, lord Saville et moi, à qui ferait plus tôt parvenir une lettre à Londres. Voici de quoi boire à ma santé et à mon succès. N’en dis rien à personne, et aide Tom à brider son cheval. Tiens, Tom, avant de partir, viens chercher tes lettres de créance ; je t’en donnerai une pour le duc de Buckingham, afin de prouver que tu es arrivé le premier à Londres. »

Tom Beacon fit un profond salut, et sortit. Lance-Outram, après avoir fait semblant de l’aider à brider son cheval, s’empressa d’aller trouver son maître, pour lui porter la bonne nouvelle qu’un heureux accident venait de réduire la suite de Chiffinch à un seul homme.

Aussitôt Peveril ordonna qu’on préparât les chevaux, et dès que Tom Beacon fut parti au grand galop pour Londres, il eut la satisfaction de voir Chiffinch, avec son favori Chaubert, monter à cheval pour faire le même voyage, mais d’un pas plus modéré. Il les laissa prendre assez d’avance pour pouvoir les suivre sans exciter leurs soupçons ; ensuite il paya son écot, monta à cheval, et les suivit de loin, sans les perdre de vue, jusqu’à ce qu’il fût arrivé à un endroit favorable à l’entreprise qu’il méditait.

L’intention de Peveril avait été de hâter le pas, lorsqu’ils se