Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/353

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trouveraient dans quelque partie solitaire de la route, jusqu’à ce qu’ils eussent atteint Chaubert ; Lance-Outram devait alors rester en arrière pour attaquer le roi des broches et des casseroles, tandis que Julien pousserait en avant pour tomber sur Chiffinch. Mais ce plan supposait que le maître et le domestique voyageraient à la manière ordinaire, c’est-à-dire celui-ci à quelques pas derrière le premier. Les sujets de discussion entre Chiffinch et le cuisinier français étaient si intéressants que, sans égard pour l’étiquette, ils marchaient amicalement côte à côte, se livrant sur les mystères de la table à une conversation que le vieux Comus ou un gastronome moderne eût écoutée avec plaisir. Il était donc nécessaire de les attaquer tous les deux à la fois.

En conséquence, lorsqu’ils aperçurent devant eux un grand espace de chemin qui n’offrait pas la moindre apparence d’homme, d’habitation humaine, ni même d’animaux, ils commencèrent à presser le pas, mais prudemment, sans affectation, pour ne point donner l’alarme. De cette manière, ils franchirent peu à peu la distance qui les séparait de ceux qu’ils voulaient attaquer ; et ils n’étaient plus guère qu’à cinquante pas d’eux, quand Peveril, craignant que Chiffinch ne le reconnût, et n’eût recours à la vitesse de son cheval pour s’enfuir, donna à Lance le signal de l’attaque.

Au bruit subit de leurs chevaux, Chiffinch se retourna ; mais il n’eut pas le temps d’en faire davantage, car Lance, qui avait donné un coup d’éperon à son petit cheval, meilleur coureur que celui de Julien, se jeta sans cérémonie entre le courtisan et son cuisinier ; et Chaubert avait à peine eu le temps de faire une exclamation que lui et son cheval furent renversés. Le Français fit entendre le juron de morbleu en roulant sur la poussière, au milieu de divers ustensiles de son métier, qui, s’échappant du porte-manteau où ils étaient s’en allèrent en désordre sur le grand chemin. Lance, sautant à terre, ordonna à son ennemi de rester tranquille, et menaça de lui ôter la vie, s’il tentait de se relever.

Avant que Chiffinch eût pu tirer vengeance de la chute de son fidèle cuisinier ; la bride de son cheval fut saisie par Julien, qui lui présenta de l’autre main un pistolet, en le menaçant de lui faire sauter la cervelle s’il bougeait. Chiffinch, quoique efféminé, n’était point lâche ; il s’arrêta, et dit avec fermeté : « Drôle ! vous m’avez pris par surprise ; et vous êtes un voleur de grand chemin, voici ma bourse. Ne nous faites point de mal, et épargnez surtout