Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/365

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un peu farouche de la péronnelle ; car elle a été élevée à la mode de nos grand’mères, et nos grand’mères avaient du bon sens. — Quoi ! si belle, si jeune, si spirituelle et si difficile ! s’écria le duc. Avec votre permission, vous me présenterez à elle aussi bien que Chiffinch. — Sans doute pour que Votre Grâce la guérisse de sa pudeur intraitable ? demanda Christian. — Je veux seulement lui apprendre à savoir ce qu’elle vaut, et à se montrer sous le véritable jour qui peut lui être favorable. Les rois n’aiment pas à jouer le rôle de poursuivants d’amour : ils aiment qu’on coure le gibier pour eux. — Avec la permission de Votre Grâce, cela ne se peut, dit Christian ; non omnibus dormio : Votre Grâce connaît cette allusion classique. Si cette jeune fille devient la favorite du prince, le rang dorera la honte et couvrira le péché ; mais elle ne baissera jamais pavillon que devant une majesté. — Tu es un fou bien soupçonneux ; je ne voulais que plaisanter ; crois-tu que je voudrais risquer de nuire à un plan tel que le tien, qui est tout à mon avantage ? »

Christian sourit et secoua la tête. « Milord, dit-il, je connais Votre Grâce aussi bien et peut-être mieux que vous ne vous connaissez vous-même : déranger une intrigue bien concertée, par quelque ruse de votre invention, vous ferait plus de plaisir que de l’amener à un dénouement heureux en suivant les plans d’autrui. Mais Shaftesbury, et tous ceux qui y sont intéressés, sont résolus à protéger l’entreprise. Nous comptons donc sur votre secours ; et, pardon si je vous parle ainsi, nous ne souffrirons pas que votre légèreté et votre inconstance nous suscitent des obstacles. — Qui ? moi ! léger et inconstant ? dit le duc ; vous me voyez ici aussi résolu qu’aucun de vous à déposséder cette courtisane et à pousser l’intrigue jusqu’à sa fin ; ce sont là les deux choses qui me font maintenant désirer de vivre. Personne ne peut comme moi jouer le rôle d’homme d’affaires, lorsque cela me plaît ; je connais même l’art d’enfiler et d’étiqueter mes lettres ; je suis réglé comme un notaire. — Vous avez reçu une lettre de Chiffinch. Il m’a dit vous avoir écrit quelques pages au sujet de plusieurs choses qui se sont passées entre lui et lord Saville. — Oui, oui, » dit le duc en regardant parmi ses lettres ; « je ne la trouve pas dans ce moment, je me souviens à peine de son contenu ; j’étais occupé lorsque je l’ai reçue ; mais elle est en sûreté. — Vous auriez dû agir d’après ce qu’il vous mande. L’imbécile s’est laissé surprendre son secret, et vous a prié de faire en sorte que le mes-