Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/406

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Julien, à qui il tardait d’arracher Alice d’un lieu dont il commençait à apprécier les dangers, ne répondit rien à un tel sarcasme ; mais, s’inclinant avec respect, il l’entraîna hors de l’appartement. L’apparition subite de son amante, et la scène animée qui en était résultée, avait entièrement effacé, pour un moment, le souvenir de son père et de la comtesse de Derby, et tandis que la muette, agente de cette dernière, restait dans la chambre, silencieuse et comme spectatrice étonnée de tout ce qui se passait, Peveril était arrivé, par le puissant intérêt que lui inspirait la situation critique d’Alice, à oublier totalement sa présence. Mais il n’eut pas plus tôt abandonné l’appartement, sans songer à elle et sans l’attendre, que Fenella, revenant comme d’une extase, se dressa, regarda autour d’elle de l’air d’une personne qui sortirait d’un rêve, comme pour s’assurer que son compagnon était parti, et parti sans lui accorder la moindre attention ; puis elle joignit les mains, et leva les yeux avec une telle expression de chagrin, que Charles crut y lire les pénibles idées dont son esprit était agité. « Ce Peveril est un modèle parfait d’heureuse perfidie, dit le roi ; non seulement il réussit au premier signe à se faire suivre de la reine des Amazones, mais à sa place il nous laisse, je crois, une Ariane inconsolable. Ne pleurez donc pas ainsi, ma princesse aux jolis mouvements, dit-il en s’adressant à Fenella ; « si nous ne pouvons appeler Bacchus pour vous consoler, nous vous remettrons aux soins d’Empson, qui est capable de défier, le verre à la main, ce dieu lui-même, et je tiendrais pour lui la gageure. »

Le roi finissait à peine de parler, que Fenella passant devant lui avec son agilité habituelle, et sans le moindre égard pour la présence royale, se précipita dans l’escalier, et sortit de la maison sans répondre aux propositions du monarque. Il vit son brusque départ avec plus de surprise que de déplaisir, et partant d’un éclat de rire, il dit au duc : « Eh bien ! George, voici un jeune damoiseau qui vous apprend comment on se conduit avec les femelles. J’avais bien un peu d’expérience là-dessus, mais jamais je n’aurais pensé à les gagner ou à les perdre avec aussi peu de cérémonie. — L’expérience, sire, répliqua le duc, ne s’acquiert pas sans les années. — Cela est vrai, George, vous voulez probablement insinuer que le galant qui l’acquiert perd en jeunesse ce qu’il gagne en science. Mais cela ne me touche guère. En amour comme en politique, vous ne sauriez être plus malin que votre maître, quelque vieux que vous le croyez. Vous n’avez pas le se-