Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/472

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le mouvement de vos sourcils ne m’échappent pas. Votre Grâce connaît le proverbe français qui dit : « Rira bien qui rira le dernier. » Allons, je vous écoute. — Le ciel en soit loué ! car l’affaire exige de la promptitude, je vous en réponds, et ne prête aucunement à rire. Apprenez donc la pure vérité, que je pourrais vous garantir sur ma vie, ma fortune et mon honneur, s’il convenait à un homme tel que moi de donner aucune garantie des choses qu’il assure. Avant hier au matin, je rencontrai inopinément le roi chez Chiffinch. J’y étais allé pour perdre une heure et savoir où en était votre projet. Je fus témoin d’une scène singulière. Votre nièce épouvanta Chiffinch, c’est la Chiffinch femelle que je veux dire, brava le roi à son nez, et décampa en triomphe sous la garde d’un jeune gaillard qui ne se distingue absolument par rien, sinon par un extérieur assez prévenant et par l’avantage d’une impudence tout à fait imperturbable. Vraiment, je puis à peine m’empêcher de rire, quand je pense comme nous fûmes bafoués, le roi et moi ; car je ne nierai pas avoir voulu plaisanter un instant avec la belle Indamore. Mais, corbleu ! le jeune drôle nous l’a soufflé en face, aussi lestement que Drawcansir[1] fait table nette au festin des deux rois de Brentfort. Il y avait dans la retraite lente du galant une dignité que je veux tâcher d’enseigner à Mohun[2] : elle ira admirablement à son rôle. — Voilà qui est incompréhensible, milord duc, » dit Christian, qui avait alors recouvré tout son sang-froid ordinaire ; « vous ne pouvez vous attendre à ce que je croie un pareil conte. Qui aurait pu être assez hardi pour emmener ainsi ma nièce, lorsqu’un auguste personnage était présent ? Et quel est ce jeune homme, étranger comme il lui devait être, avec qui elle aurait, elle si sage et si prudente, consenti à partir d’une telle manière ? Milord, je ne puis croire ce conte-là. — Un de vos prêtres, mon très-dévot Christian, se bornerait à vous répondre : Meurs, infidèle dans ton incrédulité ; mais je ne suis qu’un pauvre pécheur de ce monde, et je vous communiquerai le peu de renseignements que j’ai recueillis. Le nom du jeune drôle, à ce que j’ai pu savoir, est Julien, fils de sir Geoffrey, que les hommes appellent Peveril du Pic. — Peveril du diable, qui nous l’envoie sans doute ! » s’écria Christian avec chaleur. « Je connais ce gaillard, et je le crois capable d’une tentative hardie et désespérée. Mais comment a-t-il pu s’intro-

  1. Personnage d’un drame anglais intitulé la Réputation. a. m.
  2. Acteur distingué de ce temps-là. a. m.