Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/478

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous sautera à la gorge, dès qu’il en trouvera l’occasion. — Je veillerai à ce qu’il ne la trouve pas ; d’ailleurs toutes vos craintes sont puériles, Jerningham. Battez vigoureusement votre chien, si vous voulez qu’il vous obéisse. Faites toujours voir à vos agents que vous savez les connaître et les apprécier. Un coquin qu’il faudrait traiter en homme d’honneur finirait par être incapable de s’acquitter de sa besogne. Assez donc d’avis et de censures, Jerningham : nous différons en tous points. Si nous étions tous deux ingénieurs, vous passeriez votre vie à regarder le rouet d’une vieille femme qui file une once de chanvre par jour ; moi, je serais continuellement au milieu des machines les plus compliquées, réglant les poids et les contre-poids, compensant les pesanteurs, inventant des ressorts et des roues, dirigeant et conduisant des centaines de forces combinées. — Et votre fortune pendant ce temps-là ? Passez-moi cette dernière observation, milord. — Ma fortune est trop vaste pour ne pas résister à une petite blessure. Tu sais d’ailleurs que j’ai en réserve mille recettes pour les égratignures et les contusions qu’elle reçoit de temps à autre en graissant ma machine. — Votre Grâce ne veut-elle pas parler de la poudre de projection du docteur Wilderhead ? — Allons donc ! C’est un charlatan, un charlatan fieffé. — Ou du plan du procureur Drowndland pour dessécher les marais ? — C’est un escroc, videlicet un homme de loi. — Ou de la vente des bois du laird de Lackpelf, dans les montagnes ? — C’est un Écossais, videlicet un escroc et un mendiant. — Ou de ces rues qu’on perce ici près autour de votre hôtel ? — L’architecte est un imbécile et le plan une sottise. Je suis malade de voir ces décombres, et je remplacerai bientôt nos vieilles allées, nos bosquets et nos plates-bandes, par un jardin à l’italienne et par un nouveau palais. — Ce serait, milord, anéantir votre fortune, au lieu de la réparer. — Lourdaud, esprit bouché que tu es, tu as oublié le plus beau de tous mes projets, les pêcheries de la mer du Sud. Les fonds que j’y ai mis rapportent déjà cinquante pour cent. Cours à la Bourse, et dis au vieux Manassès de m’acheter encore pour vingt mille livres d’actions. Pardonne-moi, Plutus, si j’oubliais d’offrir un sacrifice sur ton autel, et si néanmoins j’osais attendre tes faveurs ! Cours la poste, Jerningham, comme s’il y allait de ta vie ; de ta vie, entends-tu ? de ta vie, te dis-je ! »

Les mains et les yeux levés au ciel, Jerningham sortit de l’appartement ; et le duc, sans songer davantage à ses intrigues an-