Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/569

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esclave qui parle à son maître ! — Oui, certes, ma question est convenable, et la plus convenable de toutes celles que puisse faire une maîtresse interrogeant son esclave ! Ne savez-vous donc pas que, du moment où vous m’avez laissé voir votre inexprimable bassesse, vous m’avez rendue maîtresse de votre sort ? Quand vous ne me paraissiez qu’un démon de vengeance, vous commandiez la terreur, et à juste titre ; mais un infâme tel que vous vous êtes montré récemment, un vil et fourbe suppôt de l’enfer, un démon sordide et rampant, ne peut obtenir que le mépris d’une âme comme la mienne. — Bravement parlé ! dit Christian, et avec l’emphase convenable. — Oui, répondit Zarah, je sais parler quelquefois ; je sais aussi me taire, et personne n’en est plus certain que vous. — Tu es un enfant gâté, Zarah, et tu ne fais qu’abuser de l’indulgence que je montre pour ton humeur capricieuse, répliqua Christian ; ton esprit s’est dérangé depuis que tu es débarquée en Angleterre, et le tout pour l’amour d’un homme qui ne s’inquiète pas plus de toi que des créatures qui courent les rues, et au milieu desquelles il t’a laissée pour s’engager dans une querelle au sujet d’une femme qu’il aime plus que toi. — Peu importe, » dit Zarah qui comprimait évidemment une émotion très-douloureuse ; « peu importe qu’il en aime mieux une autre. Il n’en est aucune, non, aucune, qui l’ait jamais aimé ou puisse l’aimer autant que moi. — J’ai pitié de Vous, Zarah ! » dit Christian d’un air de dédain.

« Oui, je mérite votre pitié, répliqua-t-elle, mais votre pitié n’est pas digne de moi. À qui donc ai-je l’obligation de l’état déplorable où je me trouve, si ce n’est à vous ? Vous m’avez élevée dans la soif de la vengeance, avant que je susse que le mal et le bien étaient autre chose que des mots. Pour mériter votre approbation, et pour satisfaire la vanité que vous aviez excitée en moi, j’ai, durant des années, subi une pénitence devant laquelle mille autres auraient reculé. — Mille, Zarah ! répondit Christian ; dis plutôt cent mille, dis un million. Il n’est pas, dans tout ton sexe, une créature qui, simple mortelle, aurait eu la force d’accomplir la trentième partie de ton sacrifice. — Je le crois, » dit Zarah, redressant sa taille frêle, mais élégante ; « je le crois, j’ai subi une épreuve que peu de femmes eussent en effet soutenue. J’ai renoncé au doux commerce de la société, j’ai forcé ma langue à ne prononcer, comme celle d’un espion, que ce que mon oreille avait recueilli, tel qu’un vil écouteur aux portes ; je l’ai fait du-