Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 18, 1838.djvu/60

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l’idée que les éclats en arrivaient jusqu’à leurs voisins, les têtes-rondes déchues et humiliées.

Lorsque le chant sonore et solennel du psaume répété par tous les échos des rochers et des voûtes en ruine vint frapper l’oreille des cavaliers, comme pour leur prouver combien ils étaient dans l’erreur s’ils avaient espéré trouver leurs adversaires mornes et abattus, ils y répondirent d’abord par des éclats de rire qu’ils rendirent aussi bruyants que la force de leurs poumons le leur permit, afin de faire comprendre aux psalmodistes tout le mépris de leurs auditeurs : mais ce fut là un effort infructueux que leur inspira le haineux esprit de parti. Dans un état d’incertitude et de souffrance, on éprouve un penchant naturel à tout ce qui inspire la mélancolie plutôt qu’à ce qui provoque la gaieté ; et lorsqu’en pareille circonstance le hasard vous place entre le spectacle de la tristesse et celui de la joie, il est rare que le premier ne soit pas préféré au second. Si alors un cortège funèbre et celui d’une noce venaient à se rencontrer, les manifestations de la joie seraient certainement beaucoup moins d’accord avec la disposition de votre âme que celles de la tristesse. Tels n’étaient pas au reste les sentiments qui animaient alors les cavaliers. Le chant religieux qui retentissait à leurs oreilles leur était trop bien connu ; trop souvent il avait préludé à leur défaite, pour qu’ils pussent, même au milieu de leur triomphe, l’entendre sans émotion. Il se fit tout à coup parmi les royalistes un moment de silence, dont bientôt ils parurent honteux et qu’interrompit brusquement le vieux et robuste chevalier sir Jasper Canbourne, homme d’une bravoure si universellement reconnue qu’il pouvait avouer des émotions que ceux dont la valeur n’eût pas été aussi incontestable n’auraient pu laisser voir sans imprudence.

« Diable ! » s’écria le vieux chevalier, « puissé-je ne jamais boire de bordeaux, si ce n’est pas là le même air sur lequel ces coquins à longues oreilles nous attaquèrent à Wiggan-Lane, et nous renversèrent comme le vent abat de fragiles roseaux. Sur ma foi, voisins, pour dire la vérité et faire honte au diable, cet air-là ne me revient qu’à demi. — Si je pensais que ces vauriens de têtes-rondes le fîssent entendre pour nous narguer, ajouta Dick Wildblood[1] de la vallée, je leur renfoncerais leur psalmodie dans la gorge avec ce gourdin. » Cette menace, appuyée de l’approbation de Roger Raine, l’ivrogne cabaretier qui tenait dans le village l’auberge des

  1. Mot qui veut dire sang sauvage. a. m.