sarcasmes aussi mordants cessent d’être des plaisanteries. Soyons tous amis. Pour en revenir à la comtesse, elle est trop riche pour tomber en partage à un pauvre seigneur écossais, sans quoi je commencerais par faire valoir mes prétentions, en dépit de mes quatre-vingts ans, ou peu s’en faut. Quoi qu’il en soit, je vous propose de boire à sa santé, car on dit que c’est un astre de beauté. — Je crois l’avoir vue ce matin, dit un autre archer, lorsque j’étais de garde à la barrière intérieure ; mais elle ressemblait plutôt à une lanterne sourde qu’à une étoile, car elle et une autre dame furent amenées au château dans des litières fermées. — Fi ! Arnot, n’as-tu pas de honte ? dit lord Crawford : un soldat ne doit jamais rapporter ce qu’il a vu étant en faction ! D’ailleurs, » ajouta-t-il après un moment de silence, et sa curiosité l’emportant sur le zèle qu’il avait cru nécessaire de déployer en matière de discipline, qu’est-ce qui te fait penser que la comtesse de Croye se trouvait effectivement dans une de ces litières ? — Milord, répondit Arnot, je ne sais rien de tout cela, sinon que mon coutelier étant alors à faire prendre l’air à mes chevaux sur la route qui conduit au village, a rencontré Doguin, le muletier, qui ramenait les litières à l’auberge, car elles appartiennent à l’aubergiste du bosquet des Mûriers, c’est-à-dire à l’aubergiste qui a pour enseigne les Fleurs-de-Lis… ; de manière donc que Doguin a invité Saunders Steed à boire un verre de vin, attendu qu’ils se connaissaient, et que sans doute celui-ci était assez disposé à le faire… — Sans doute, sans doute, interrompit le vieux lord, et c’est ce que je voudrais voir réformer parmi vous, messieurs ; mais tous vos palefreniers, vos couteliers, vos jackmen, comme nous les appellerions en Écosse, ne sont que trop disposés à prendre un verre de vin avec le premier venu. C’est une chose très-dangereuse en temps de guerre, et il faut y tenir la main. Mais, André Arnot, tu nous contes là une bien longue histoire, et nous allons la couper par un verre de vin : comme dit le montagnard, Skeoch doch nan skial ; et c’est du bon gaélique[1]. Allons, à la santé de la comtesse Isabelle de Croye, et puisse-t-elle trouver un meilleur mari que ce Campo-Basso, qui est un vil coglione[2] italien. Et maintenant, André Arnot, que disait
- ↑ C’est-à-dire du celtique. C’est la langue que parlent les montagnards d’Écosse et ceux de la Basse-Bretagne. a. m.
- ↑ Mot qui ne pourrait être traduit en français que par une expression basse et populaire. a. m.
celles dont on se servait sans avoir pris cette précaution, et qui étaient dites à fer émoulu. a. m.