Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/135

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avait la conviction peu ordinaire, mais désespérante, de sa laideur, et qu’elle n’osait faire aucune tentative pour suppléer, par la grâce ou par l’art, à ce que la nature lui avait refusé, ou pour chercher de toute autre façon les moyens de plaire.

Le roi, qui ne l’aimait point, s’avança vers elle en la voyant entrer : « Eh bien ! notre fille, s’écria-t-il, toujours le morne mépris du monde ! Vous êtes-vous habillée ce matin pour une partie de chasse, ou pour le couvent ? parlez… répondez. — Pour ce qu’il plaira à Votre Majesté, Sire, » répondit la princesse d’une voix presque aussi faible que sa respiration. — « Oh ! sans doute, dit Louis, vous voudriez me persuader que votre désir est de quitter la cour et de renoncer au monde et à ses vanités. Quoi ! Jeanne, voudrais-tu que l’on pensât que nous, fils aîné de la sainte Église, nous refusons au ciel de lui donner notre fille ? À Notre-Dame et à saint Martin ne plaise que nous détournions une telle offrande, si elle était digne de l’autel, ou si tu y étais véritablement appelée ! »

En parlant ainsi, le roi fit dévotement le signe de la croix, ressemblant en même temps, à ce qu’il parut à Quentin, à un rusé vassal qui déprécie le mérite d’une chose qu’il souhaite garder pour lui-même, afin d’avoir une excuse pour ne pas l’offrir à son abbé ou à son seigneur. « Ose-t-il ainsi faire l’hypocrite avec le ciel ? pensa Durward, et se jouer de Dieu et des saints, comme il peut se jouer des hommes qui n’oseraient scruter sa conscience de trop près ? »

Cependant, après cet instant consacré à la dévotion mentale, Louis reprit : « Non, ma fille ; moi et un autre, nous connaissons mieux vos intentions… Dites, beau cousin d’Orléans, cela n’est-il pas vrai ? Allons, approchez, beau sire, et conduisez à son cheval votre toute dévouée vestale. »

Le duc d’Orléans tressaillit lorsque le roi lui adressa la parole, et se hâta de lui obéir ; mais ce fut d’un pas si précipité et avec un si grand trouble, que le roi lui cria : « Doucement, cousin, votre galanterie s’élance au galop. Regardez devant vous. Comme la promptitude d’un amant lui fait quelquefois commettre des bévues ! Peu s’en est fallu que vous ne prissiez la main d’Anne au lieu de celle de sa sœur. Faut-il que je vous donne moi-même celle de Jeanne, Monsieur ?

Le malheureux prince leva les yeux, et frémit comme un enfant que l’on force à toucher quelque objet pour lequel il a une