Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/138

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en personne dans trente batailles, était alors assis sur le trône d’Angleterre ; frère de la duchesse de Bourgogne, on pouvait supposer qu’il n’attendait qu’une mésintelligence entre son beau-frère et Louis pour introduire en France, par la porte toujours ouverte de Calais, ces armes qui avaient triomphé dans les guerres civiles, et pour effacer le souvenir des dissensions intestines par une invasion en France, la plus populaire de toutes les guerres parmi les Anglais. À cette considération se joignait la foi douteuse du duc de Bretagne, ainsi que d’autres sujets importants de réflexion.

Après quelques moments d’un profond silence, Louis reprit la parole : à la vérité, ce fut du même ton, mais dans un esprit tout différent. « Mais à Dieu ne plaise, dit-il, que toute autre cause qu’une absolue nécessité nous porte, nous roi très-chrétien, à occasionner l’effusion du sang chrétien, si nous pouvons sans déshonneur détourner une telle calamité ! Nous avons plus à cœur la sûreté de nos sujets que l’atteinte portée à notre propre dignité par les expressions grossières d’un insolent ambassadeur, qui a peut-être outrepassé les bornes de ses instructions. Qu’on admette en notre présence l’envoyé du duc de Bourgogne ! — Beati pacifici ! dit le cardinal la Balue. — C’est vrai, et Votre Éminence sait aussi que ceux qui s’abaissent seront élevés, » ajouta le roi.

Le cardinal prononça un amen, auquel peu de personnes joignirent leur voix ; car les joues pâles du duc d’Orléans lui-même se couvrirent de la rougeur de l’indignation, et le Balafré fut si peu maître de celle qu’il éprouvait, qu’il laissa tomber lourdement sur le plancher le bout de sa pertuisane, mouvement d’impatience qui lui attira une sévère réprimande de la part du cardinal, suivie d’une dissertation sur la manière convenable de manier les armes en présence du souverain. Le roi lui-même parut extraordinairement embarrassé du silence qui régnait autour de lui. « Vous êtes pensif, Dunois, dit-il, vous n’approuvez pas que nous cédions à ce fougueux envoyé ? — Nullement, répondit Dunois ; je ne me mêle point de ce qui s’élève au-dessus de ma sphère. Je songeais seulement à prier Votre Majesté de m’accorder une faveur. — Une faveur, Dunois ? reprit le roi. Quelle est-elle ? Vous sollicitez rarement, et vous pouvez compter sur nos bonnes grâces. — Je désirerais donc, » répondit Dunois avec la franchise d’un militaire, « que Votre Majesté voulût bien m’envoyer à Évreux pour y discipliner le clergé. — Ce serait en effet au-dessus de ta sphère, »