manquât rien à notre dîner. Quant au vin, vous savez que c’est le sujet d’une vieille rivalité entre la France et la Bourgogne ; mais nous ne tarderons pas à satisfaire ces deux prétentions opposées : je boirai à votre santé avec du bourgogne, et vous me ferez raison avec du champagne. Olivier, donnez-moi un verre de vin d’Auxerre, » et il se mit à fredonner gaiement une chanson alors bien connue :
« Auxerre est la boisson des rois. »
« Allons, sire comte, continua-t-il, je bois à la santé de notre bon
et cher cousin le noble duc de Bourgogne… Olivier, remplissez
cette coupe d’or de vin de Reims, et offrez-la au comte un genou
en terre… il représente notre aimé frère… Monsieur le cardinal,
nous allons nous-même remplir votre coupe. — Vous l’avez déjà
remplie, Sire, jusqu’à la faire déborder, » dit le cardinal avec
l’air rampant d’un favori qui parle à un maître indulgent. « C’est
parce que nous savons que Votre Éminence sait la porter d’une
main ferme, dit Louis. Mais quel parti épousez-vous dans notre
grande controverse ? Sillery ou Auxerre ? France ou Bourgogne ?
— Je resterai neutre, Sire, reprit le cardinal, et j’emplirai de
nouveau ma coupe de vin d’Auvergne. — Celui qui veut conserver
la neutralité joue un jeu dangereux, » dit le roi ; mais s’apercevant
que le cardinal rougissait un peu, il glissa légèrement sur
ce sujet, et se contenta d’ajouter : « C’est-à-dire que vous préférez
le vin d’Auvergne, parce qu’il est généreux et qu’il ne supporte
pas l’eau… Eh bien ! sire comte, vous hésitez à remplir votre
coupe ? J’espère que vous n’avez trouvé au fond aucune
amertume nationale. — Je souhaiterais, Sire, dit le comte de Crèvecœur,
que toutes les querelles nationales pussent se terminer
aussi gaiement que la rivalité de nos vignobles. — Avec le temps,
sire comte, avec le temps, dit le roi ; pas plus qu’il ne vous en a
fallu pour boire ce verre de Champagne… Et maintenant qu’il est
bu, faites-moi le plaisir de mettre la coupe dans votre sein, et de
la conserver comme un gage de notre estime. Ce n’est pas au
premier venu que je ferais un tel présent. Elle a appartenu à la
terreur de la France, à Henri V d’Angleterre, et fut prise lors de
la réduction de Rouen, à l’époque où ces insulaires furent expulsés
de la Normandie par les armes réunies de France et de Bourgogne.
Elle ne saurait trouver un plus digne maître qu’un noble
et vaillant Bourguignon, qui sait très bien que l’union de ces