Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/175

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à travers une fenêtre ouverte, faisait ondoyer la vieille tapisserie, ressemblait pour lui à l’approche du bel objet de son attente. En un mot, il éprouvait cette anxiété mystérieuse, cette impatience, compagne de l’espérance, qui sont inséparables de l’amour et qui quelquefois même contribuent si puissamment à le faire naître.

Enfin il entendit une porte crier en roulant sur ses gonds ; car au quinzième siècle les portes, même dans les palais, ne s’ouvraient pas silencieusement comme de nos jours. Mais, hélas ! ce n’était pas celle que l’on voyait à l’extrémité de la galerie d’où les sons du luth avaient frappé son oreille. Elle s’ouvrit cependant, et une femme parut : elle était suivie de deux autres, à qui elle fit signe de se tenir en dehors, tandis qu’elle-même s’avança dans la galerie. À sa démarche inégale, que l’étendue de ce vaste appartement faisait sentir d’une manière plus choquante encore, Quentin reconnut la princesse Jeanne, et, prenant aussitôt l’attitude respectueuse et vigilante que lui prescrivait son devoir, il inclina son arme vers la terre lorsqu’elle passa devant lui. Jeanne répondit à ce salut militaire par une gracieuse inclination de tête ce qui permit au jeune Écossais de voir sa figure plus distinctement qu’il ne l’avait pu faire dans la matinée.

Les traits de cette infortunée princesse ne présentaient que bien peu de chose qui pût racheter les défauts de sa taille et de sa démarche. Sa figure n’avait, à la vérité, rien de désagréable en elle-même, quoiqu’elle fût dénuée de beauté ; et dans ses grands yeux bleus, qu’elle tenait ordinairement baissés, on remarquait une expression de douceur, de chagrin et de patience. Mais, outre que son teint était extrêmement pâle, sa peau avait cette nuance jaunâtre qui indique une mauvaise santé habituelle ; et bien que ses dents fussent blanches et régulièrement placées, ses lèvres étaient maigres et décolorées. Elle avait une profusion de cheveux de couleur gris de lin, mais tellement claire qu’on aurait pu croire qu’ils avaient une teinte bleuâtre ; et sa femme de chambre, qui sans doute regardait comme un ornement des tresses nombreuses disposées autour d’un visage décoloré, n’avait guère ajouté à la beauté de sa maîtresse en les multipliant d’une manière qui donnait à sa physionomie une expression pour ainsi dire étrangère à une personne de ce monde. Enfin, comme si elle eût voulu faire ressortir ce défaut, Jeanne avait fait choix d’une robe ou simarre de soie d’un vert pâle, qui achevait de lui donner l’aspect d’un fantôme sorti du sépulcre.