Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/187

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Sachant fort bien que son maître, malgré toute sa finesse et toute sa sagacité, était d’autant plus enclin à se laisser tromper par les prophètes, les astrologues, les devins et toute cette race de prétendus adeptes, qu’il croyait avoir lui-même quelques connaissances dans cette science, Olivier n’osa pas insister davantage sur ce point, et se contenta d’observer que le Bohémien avait été un mauvais prophète en ce qui le touchait personnellement, car autrement il se serait bien gardé de retourner à Tours, et aurait ainsi échappé à la corde qu’il avait méritée.

« Il arrive souvent que ceux qui ont reçu d’en haut la science prophétique, » répondit Louis avec beaucoup de gravité, « n’ont pas la faculté de prévoir les événements dans lesquels ils se trouvent eux-mêmes personnellement intéressés. — Avec la permission de Votre Majesté, répliqua le confident, c’est comme si l’on disait qu’un homme ne peut voir sa propre main, au moyen de la chandelle qu’il tient et qui lui montre tous les autres objets de l’appartement. — La lumière qui lui montre le visage des autres ne peut lui montrer ses propres traits, et c’est là l’explication la plus claire de ce que j’ai avancé. Mais tout ceci est étranger à l’objet qui m’occupe en ce moment. Le Bohémien a reçu sa récompense ; que la paix soit avec lui ! Mais ces dames… Non seulement le Bourguignon nous menace d’une guerre parce que nous leur avons donné asile ; mais leur présence ici va probablement contrarier mes projets relatifs à ma propre famille. Mon cousin d’Orléans, le pauvre garçon ! a vu la demoiselle, et je prédis que cette vue le rendra moins souple relativement à son mariage avec Jeanne. — Votre Majesté peut renvoyer les dames de Croye en Bourgogne, et par ce moyen faire sa paix avec le duc. Quelques murmures s’élèveront peut-être, on dira que l’honneur est sacrifié… mais si la nécessité commande ce sacrifice… — Si ce sacrifice était commandé par l’intérêt, Olivier, je le ferais sans hésiter. Je suis un vieux saumon : j’ai de l’expérience, et je ne suis pas assez simple pour avaler l’hameçon du pêcheur parce qu’il est garni de cette amorce qu’on nomme l’honneur. Mais ce qui est pire qu’un manque d’honneur, c’est que, en rendant ces dames au duc de Bourgogne, nous perdrions toutes les espérances des avantages que nous avions en vue en leur accordant un asile. Ce serait un chagrin mortel que de renoncer à placer un ami à nous, un ennemi du duc de Bourgogne, au centre même de ses domaines, et si près des villes mécontentes de la Flandre. Olivier, je ne sau-