Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/261

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destin, qui ne lui avait accordé ni le rang élevé ni les richesses qui lui eussent été nécessaires pour soutenir de telles prétentions. Enfin la fermeté naturelle de son caractère l’emporta, grâce au stimulant qu’elle reçut d’un vieux poëme en langue romane, récemment imprimé à Strasbourg, et qui était placé près de lui sur le rebord de la croisée : le titre de ce roman annonçait

Comment un écuyer, né d’une humble famille,
Du prince de Hongrie aima, dit-on, la fille.

Tandis qu’il avait les yeux fixés sur les lettres gothiques d’une historiette en rimes qui retraçait une situation si semblable à la sienne, Quentin fut interrompu par quelqu’un qui lui frappa sur l’épaule ; et, se retournant pour voir qui ce pouvait être, il aperçut le Bohémien.

Hayraddin, qui ne lui avait jamais inspiré de la bienveillance, lui était devenu insupportable depuis qu’il avait découvert sa trahison, et il lui demanda d’un air sévère pourquoi il était assez hardi pour toucher un chrétien et un gentilhomme ?

« Tout simplement, répondit le Bohémien, parce que je désire savoir si le gentilhomme chrétien a perdu le sentiment aussi bien que l’ouïe et la vue. Il y a cinq minutes que je suis devant vous à vous parler, et vous restez les yeux fixés sur ce morceau de parchemin jaune, comme si c’était un charme pour vous métamorphoser en statue, et qui eût déjà fait la moitié de sa besogne. — Eh bien ! de quoi as-tu besoin ? Parle, et va-t’en. — J’ai besoin de ce dont tous les hommes ont besoin, quoique peu d’entre eux s’en contentent ; j’ai besoin de ce que vous me devez, dix écus d’or, pour avoir servi de guide aux dames jusqu’ici. — Comment oses-tu demander un salaire ? N’es-tu pas assez payé, puisque je te laisse ta coupable vie ? Tu sais que ton dessein était de les trahir pendant le voyage. — Mais je ne les ai pas trahies ; si je l’avais fait, je n’aurais pas réclamé mon salaire, ni d’elles, ni de vous, mais de celui qui aurait tiré parti de leur passage sur la rive droite de la Meuse. Les gens que j’ai servis sont ceux qui doivent me payer. — Périsse donc ton salaire avec toi, traître ! » s’écria Quentin en comptant l’argent que lui demandait le Bohémien ; car, en sa qualité de majordome, il avait été muni d’une somme suffisante pour payer toutes les dépenses du voyage. « Va trouver le Sanglier des Ardennes, ou le diable ! mais ne te présente plus devant moi, à moins que tu ne veuilles que je te fasse sortir de ce