Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/32

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et nœuds de ruban, votre imagination ne saurait, en se le représentant dans un moderne jardin anglais, le distinguer de quelque vieillard en délire qui s’est avisé de se revêtir du costume de son trisaïeul, et qu’un détachement de gendarmes conduit à une maison de fous. Mais si elle existe encore, contemplez la longue et magnifique terrasse où le loyal, le magnanime Sully avait coutume de faire deux fois par jour sa promenade solitaire, tout en méditant sur les plans qu’il formait pour le bonheur du peuple, pour la gloire de la France ; ou bien lorsque, à une époque plus avancée et plus triste de sa vie, il rêvait douloureusement au souvenir de son maître assassiné, et au sort de son pays déchiré par des factions qui à leur insu préparaient sa ruine : sur ce magnifique arrière-plan d’arcades jetez des vases, des statues, des urnes, en un mot tout ce qui annonce la proximité d’un palais ducal, et le tableau, dans toutes ses parties, sera en harmonie avec la figure de ce grand ministre. Les factionnaires armés de l’arquebuse, et placés aux deux extrémités de la longue terrasse bien nivelée, annoncent la présence du prince féodal, plus évidemment encore démontrée par la garde d’honneur qui le précède et qui le suit avec la hallebarde haute, l’air martial et fier, comme si l’on était en présence de l’ennemi : animés du même sentiment que leur noble et digne chef, tous s’étudient à régler leurs pas d’après les siens, marchant lorsqu’il marche, s’arrêtant lorsqu’il s’arrête, se conformant aux plus légères irrégularités de ses courtes haltes et de sa marche, occasionnées par ses profondes réflexions ; tous exécutent avec la précision militaire la plus rigoureuse les évolutions requises, devant et derrière celui qui semble être le centre et le principe d’action de leurs rangs, de même que le cœur est le mobile et la force du corps humain… Si vous souriez en entendant cette description d’une promenade si peu conforme à la frivole liberté des mœurs modernes, » ajouta le marquis en me regardant d’un air de doute et de soupçon, « vous décideriez-vous à démolir cette autre terrasse, foulée par les pieds délicats de la séduisante marquise de Sévigné, et à l’idée de laquelle s’unissent tant de souvenirs qui se rattachent à une foule de passages de ses lettres enchanteresses ? »

Un peu fatigué de cette dissertation que bien certainement le marquis avait prolongée dans le but de rehausser les beautés naturelles de sa chère terrasse, qui, au reste, toute délabrée qu’elle était, n’avait cependant pas besoin d’une recommandation aussi