Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/323

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chercher à abuser de la situation où se trouvait Isabelle. S’il en eût profité pour placer le moindre mot, il eût cru se rendre coupable d’une insigne déloyauté. Ils ne parlèrent donc pas d’amour ; mais, chacun à part soi, ils ne pouvaient s’empêcher d’y penser ; et ils se trouvaient ainsi placés, l’un par rapport à l’autre, dans cette situation où les sentiments d’une affection mutuelle se comprennent beaucoup plus aisément qu’ils ne s’expriment ; dans cette situation qui, au milieu de la liberté qu’elle permet et de l’incertitude où elle jette, forme presque toujours les instants les plus heureux de la vie humaine, et qui trop souvent apporte à ceux qui y cèdent légèrement, l’inconstance et tous les chagrins d’un espoir trompé et d’un attachement non payé de retour.

Il était deux heures après midi quand leur guide, la pâleur sur le visage et l’effroi dans les yeux y vint exciter leurs alarmes en annonçant qu’ils étaient poursuivis par les schwarz-reiters[1] de Guillaume de la Marck. Ces soldats, ou plutôt ces brigands, étaient levés dans les cercles de la Basse-Allemagne, et ressemblaient parfaitement aux lansquenets, à cela près cependant qu’ils formaient une cavalerie légère. Pour soutenir le nom de cavalerie noire, et frapper leurs ennemis d’un surcroît de terreur, ils étaient ordinairement montés sur des chevaux de cette robe, portaient des vêtements noirs, et couvraient leur armure d’un enduit de cette couleur, opération qui donnait souvent la même teinte à leurs mains et à leur visage. En moralité et en férocité ces schwarz-reiters étaient les dignes émules de leurs pédestres confrères les lansquenets.

Jetant un regard en arrière, Quentin vit un nuage de poussière qui s’élevait sur une route unie qu’ils venaient de parcourir, et qui s’avançait de leur côté ; un ou deux soldats couraient ventre à terre en avant de la troupe. S’adressant à sa compagne, il lui dit : « Chère Isabelle, je n’ai d’autre arme que mon épée ; mais si je ne puis combattre pour vous, je puis fuir avec vous. S’il nous est possible de gagner le bois que traverse la route avant que ces cavaliers nous aient atteints, nous parviendrons sans doute à leur échapper. — Essayons-y, mon unique ami, » répondit Isabelle en mettant son cheval au grand galop ; « et toi, mon brave garçon, » ajouta-t-elle en s’adressant à Hans Glover, « prends une autre route, et ne t’expose pas à partager nos périls et nos infortunes. »

L’honnête Flamand secoua la tête, et ne répondit à cette géné-

  1. Schwarz, noir, et reiter, cavalier. a. m.