Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/332

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gantelets dont elles étaient couvertes. Quentin s’aperçut aisément que le chagrin que le comte manifestait était augmenté par le souvenir pénible de l’amitié qui l’avait uni à l’infortuné prélat et il garda le silence, respectant une douleur qu’il ne voulait pas aggraver par de nouveaux détails, et qu’il se sentait incapable d’adoucir par aucune parole de consolation.

Mais le comte de Crèvecœur revint à plusieurs reprises sur le même sujet, le questionna de nouveau sur chacune des particularités de la prise de Schonwaldt et de la mort de l’évêque, et tout à coup, comme s’il se fût rappelé quelque chose qui lui avait échappé de la mémoire, il demanda ce qu’était devenue la comtesse Hameline, et pourquoi elle n’était pas avec sa nièce. « Ce n’est pas, » ajouta-t-il avec un air de mépris, « que je regarde son absence comme une perte pour la comtesse Isabelle ; car quoiqu’elle fût sa parente, et qu’elle eût, au total, de bonnes intentions, je puis dire que le royaume de Cocagne ne produisit jamais une telle folle ; et je tiens pour certain que sa nièce, que j’ai toujours regardée comme une jeune personne modeste et sage, n’a conçu le projet extravagant de s’enfuir de Bourgogne pour courir en France, que par les insinuations de cette vieille tête éventée et romanesque, de cette sotte surannée qui ne songe qu’à trouver des maris pour les autres et pour elle-même. »

Quel langage pour les oreilles d’un amant, lui-même passablement romanesque, et dans un moment surtout où il aurait été ridicule à lui de tenter ce qui alors était impossible, c’est-à-dire de convaincre le comte par la force des armes qu’il faisait l’injure la plus grossière à la comtesse Isabelle, à cette femme d’une beauté et d’un esprit incomparables, en la désignant comme « une jeune personne modeste et sage ! » Un tel éloge, selon lui, aurait beaucoup mieux convenu à la fille hâlée d’un paysan, dont l’occupation est d’aiguillonner les bœufs tandis que son père conduit la charrue. Puis la supposer assez faible pour se laisser dominer par une folle, pour se laisser guider par les conseils d’une vieille extravagante ! Avec quel plaisir il eût fait rentrer une telle calomnie dans la gorge du calomniateur ! Mais la physionomie ouverte, quoique sévère, du comte de Crèvecœur, le mépris souverain qu’il paraissait avoir pour les sentiments qui dans l’âme de Quentin l’emportaient sur tous les autres, lui en imposaient malgré lui : ce n’est pas qu’il redoutât la brillante renommée que le comte avait acquise dans les armes (cette circonstance n’eût