Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/337

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leur miroir on voyait la blanche voile se déployer avec grâce pour porter d’une ville à une autre les bienfaits du commerce et de l’industrie. Cette douce et mystérieuse clarté permettait aussi de voir des villages d’un aspect riant et paisible, dont il était facile de deviner l’aisance et le bonheur par la propreté et l’agrément extérieur des habitations ; dans d’autres endroits, on voyait s’élever le château féodal, avec ses fossés profonds, ses murailles crénelées et son beffroi, car la chevalerie du Hainault était renommée parmi la noblesse de l’Europe, puis enfin, à des distances plus éloignées, les tours gigantesques et les nombreux clochers de nombreux monastères.

La beauté et la variété de ce tableau, si différent de la solitude et de l’aridité de l’Écosse, n’avaient cependant pas le pouvoir d’interrompre le cours des tristes réflexions et des regrets de Quentin. Il avait laissé son cœur derrière lui en partant de Charleroi ; et la seule pensée qui occupât son esprit pendant ce voyage fut que chaque pas l’éloignait davantage d’Isabelle. Son imagination ne cessait de lui rappeler chaque mot qu’elle avait dit, chaque regard qu’elle avait dirigé sur lui, et, comme cela arrive souvent en pareil cas, l’impression causée par le souvenir de ces circonstances était beaucoup plus forte que celle qu’avait produite la réalité.

Quand enfin l’heure froide de minuit fut passée, Quentin, en dépit de l’amour et du chagrin, commença à s’apercevoir de l’extrême fatigue qu’il avait subie dans les deux journées précédentes, fatigue que ses habitudes d’exercice dans tous les genres, sa vivacité, l’activité de son caractère, ainsi que la nature pénible de ses réflexions, l’avaient empêché de ressentir jusqu’alors. Ses sens épuisés et engourdis par la fatigue, commencèrent à seconder si faiblement les opérations de son esprit, que les visions enfantées par son imagination changeaient ou défiguraient tout ce qui lui était transmis par les organes émoussés de la vue et de l’ouïe. Il ne savait qu’il était éveillé que par les efforts que le sentiment machinal du danger de sa situation le portait à faire de temps à autre pour résister au sommeil profond qui l’accablait, et qui, s’il y avait cédé, l’exposait à tomber de cheval ; mais à peine entr’ouvrait-il les yeux, que des ombres confuses lui obscurcissaient la vue, et le paysage que la lune éclairait alors disparaissait à ses regards. Enfin, son accablement devint tel, que le comte de Crèvecœur, qui s’en aperçut, fut obligé d’ordonner à deux de ses gens