Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/340

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

costume qu’on portait alors en temps de paix ; et les faucons qu’ils avaient sur le poing, les chiens couchants et les lévriers que leurs gens conduisaient en laisse, indiquaient une chasse à l’oiseau. En apercevant Crèvecœur, dont les couleurs et les armes leur étaient connues, les chasseurs abandonnèrent un héron qu’ils poursuivaient sur les bords d’un canal, et accoururent vers lui au galop.

— « Des nouvelles ! des nouvelles ! comte de Crèvecœur ! » s’écrièrent-ils à la fois. « Voulez-vous nous en donner, ou en recevoir de nous ? ou bien voulez-vous que nous en fassions échange ? — Je consentirais volontiers à un pareil échange, messires, » répondit le comte après les avoir salués avec courtoisie, « si je croyais que vous eussiez quelques nouvelles assez importantes pour servir d’équivalent aux miennes. »

Les deux chasseurs se regardèrent en souriant. Le plus grand des deux, porteur d’une de ces physionomies féodales qui distinguaient les barons de ce temps, et qui en outre avait le teint rembruni que les uns regardent comme le signe d’un tempérament mélancolique, et où les autres, de même que ce statuaire italien qui, d’après les traits de Charles Ier, tira un augure semblable, voient le présage d’une mort funeste ; le plus grand des deux dit à son compagnon : « Crèvecœur arrive du Brabant ; c’est le pays du commerce, et il en a appris toutes les ruses : il nous sera difficile de faire un marché avantageux avec lui. — En conscience, messires, dit Crèvecœur, le duc doit voir le premier mes marchandises, car le droit de vente doit être payé au seigneur avant l’ouverture du marché. Mais vos nouvelles, dites-moi, sont-elles d’une couleur triste, ou d’une couleur gaie ?

Celui auquel il adressait particulièrement cette question était un homme de petite taille et de bonne mine, à l’œil vif et animé, quoique tempéré par quelque chose de grave et de réfléchi qui perçait par le jeu de sa bouche et par le mouvement de sa lèvre supérieure. Toute sa physionomie annonçait un homme plutôt propre au conseil qu’à l’action ; un homme capable de voir et de juger avec promptitude, mais qu’une profonde sagesse portait à n’exprimer ses opinions et à ne prendre un parti qu’avec lenteur. C’était le célèbre sire d’Argenton, mieux connu dans l’histoire et parmi les historiens sous le nom de Philippe de Comines, alors attaché à la personne du duc Charles le Téméraire, et l’un de ses conseillers les plus intimes et les plus éclairés. Répondant à la question que lui adressait Crèvecœur relativement à la couleur