Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/425

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« Ainsi donc, jeune homme, » lui dit le comte d’un ton sévère, « il faut que vous voyiez encore une fois la belle compagne de votre expédition romanesque, à ce qu’il paraît. — Oui, monsieur le comte, » répondit Quentin avec fermeté ; « et, ce qui plus est, il faut que je la voie sans témoins. — Non, non ! il n’en sera pas ainsi, s’écria Crèvecœur ; je vous en fais juge, lord Crawford ; cette jeune dame, fille de mon vieil ami et compagnon d’armes, la plus riche héritière de Bourgogne, a fait l’aveu d’une sorte de… Qu’allais-je dire ? Enfin, c’est une folle, et votre homme d’armes ici présent un fat présomptueux. En un mot, ils ne se verront pas sans témoins. — Eh bien ! je ne dirai pas un seul mot à la comtesse, car je ne lui parlerai que hors de votre présence, » répondit Quentin transporté de joie. « Quelque présomptueux que je puisse être, ce que vous venez de me dire m’en a appris beaucoup plus que je n’aurais osé même l’espérer. — C’est la vérité, mon ami, dit Crawford au comte ; vous avez parlé assez inconsidérément. Mais puisque vous vous en rapportez à mon avis, comme il y a une bonne grille, et bien solide, en travers du parloir, je vous conseille de vous y fier et de les laisser librement donner carrière à leurs langues. Quoi donc ! la vie d’un roi et celle de plusieurs milliers d’hommes peuvent-elles être mises en balance avec le danger de laisser pendant une minute deux enfants chuchoter à l’oreille l’un de l’autre ?

En parlant ainsi, il entraîna Crèvecœur hors du parloir ; et celui-ci, le suivant non sans résistance, sortit en lançant sur le jeune archer des regards de colère.

Un moment après, la comtesse Isabelle parut de l’autre côté de la grille. Dès qu’elle vit que Quentin était seul dans le parloir, elle s’arrêta, et tint ses yeux baissés pendant l’espace d’une demi-minute. « Me montrerais-je donc ingrate, dit-elle enfin, parce que d’autres ont conçu d’injustes soupçons ?… Mon guide ! mon sauveur !… et je puis le dire, au milieu des embûches qui m’environnaient, mon unique, mon fidèle et constant ami ! »

Tout en parlant ainsi, elle lui tendit la main à travers la grille, et ne songea à la retirer que lorsqu’il l’eut couverte de baisers mêlés de larmes, se bornant à lui dire : Si nous devions nous revoir encore, Durward, je ne vous permettrais pas cette folie. »

Si l’on réfléchit que Quentin l’avait défendue au milieu de tant de périls, qu’il avait été dans le fait son unique, son fidèle et zélé protecteur, peut-être que mes belles lectrices, se trouvât-il