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QUENTIN DURWARD


CHAPITRE PREMIER.

LE CONTRASTE.


Regarde ce portrait et puis cet autre, images non ressemblantes de deux frères.
Shakspeare, Hamlet, acte III, scène iv


La fin du quinzième siècle prépara une suite d’événements qui eurent pour résultat d’élever la France à cette apogée formidable de puissance qui a toujours été un sujet de jalousie pour les autres nations de l’Europe. Avant cette époque, elle eut à lutter pour sa propre existence contre les Anglais, déjà en possession de ses plus belles provinces ; et les plus grands efforts de son roi, la valeur de ses habitants, purent à peine la préserver du joug de l’étranger ; mais ce n’était pas là le seul danger qui la menaçait : les princes qui possédaient les grands fiefs de la couronne, et particulièrement les ducs de Bourgogne et de Bretagne, étaient parvenus à rendre si légères leurs chaînes féodales, qu’ils ne se faisaient aucun scrupule de lever l’étendard contre leur seigneur suzerain, le roi de France, sous les prétextes les plus frivoles. Lorsqu’ils étaient en paix entre eux et avec lui, ils gouvernaient en princes absolus ; et la maison de Bourgogne, maîtresse de la province de ce nom, ainsi que de la partie la plus belle et la plus riche de la Flandre, était par elle-même si opulente, si puissante, qu’elle ne le cédait à la couronne de France, ni en force, ni en puissance, ni en éclat.

À l’imitation des grands feudataires, chaque vassal inférieur de la couronne s’arrogeait autant d’indépendance que la distance qui le séparait du chef suprême, l’étendue de son fief et les fortifications du chef-lieu de sa résidence le lui permettaient : ces petits tyrans, auxquels il n’était plus possible de faire sentir le frein des lois, se livraient impunément à l’oppression la plus violente, et à la cruauté la plus capricieuse. Dans l’Auvergne seule on comptait plus de trois cents de ces nobles indépendants, pour qui l’inceste, le meurtre et le pillage n’étaient que des actions habituelles et familières.