Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/68

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dois vous appeler. — On m’appelle maître Pierre : je ne suis pas marchand de titres, mais un homme tout uni qui peut vivre de son revenu… C’est ainsi que l’on m’appelle. — C’est fort bien, maître Pierre, dit l’Écossais ; et je m’estime heureux de ce que le hasard m’a fait vous rencontrer ; car j’ai besoin d’un bon conseil quand il arrive à propos, et je sais m’en montrer reconnaissant. »

Tandis qu’ils parlaient de la sorte, la tour d’une église et un grand crucifix en bois qui s’élevait au-dessus des arbres, annoncèrent à Durward qu’ils étaient à l’entrée du village.

Mais maître Pierre, se détournant un peu du sentier qui venait aboutir à une large chaussée, dit à son compagnon que l’auberge dans laquelle il se proposait de le conduire était un peu écartée, et que l’on n’y recevait que des voyageurs d’une classe distinguée. — « Si vous parlez de la classe de voyageurs dont la bourse est le mieux garnie, répondit l’Écossais, je ne suis pas de ceux-là, et j’aime mieux courir la chance d’être écorché dans une mauvaise auberge que dans votre brillante hôtellerie. — Pâque-Dieu ! répondit son guide, comme ces Écossais sont prudents ! un Anglais va se jeter sans réflexion dans une taverne ; il y mange et boit du meilleur, sans songer à l’écot avant d’avoir le ventre plein. Mais vous oubliez, maître Quentin, puisque Quentin est votre nom, vous oubliez que je vous dois un déjeuner pour le bain que ma méprise vous a valu : c’est la pénitence que je m’impose pour le tort que j’ai eu envers vous. — En vérité, j’avais oublié le bain, le tort, la pénitence, et le reste. En marchant mes habits se sont séchés, ou à peu près. Néanmoins je ne refuserai pas votre offre pleine de bonté ; car mon dîner d’hier a été bien léger, et quant au souper, je n’en ai point fait. Vous me paraissez être un vieux bourgeois respectable, et je ne vois pas pourquoi je n’accepterais pas votre courtoisie. »

Le Français sourit à part lui ; car il voyait clairement que le jeune homme, quoique probablement à demi mort de faim, avait néanmoins de la peine à se concilier avec l’idée de manger aux dépens d’un étranger, et s’efforçait d’imposer silence à la fierté de son caractère par cette réflexion, que lorsqu’il s’agit d’obligations légères, celui qui accepte fait un acte de complaisance tout aussi grand que celui qui invite.

Tout en discourant ainsi ils descendirent une allée étroite, ombragée par de grands ormes, au bas de laquelle une grande porte les introduisit dans la cour d’une auberge d’une étendue peu or-