Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/73

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un homme pour sa casaque, et qui tue les prêtres et les pèlerins comme si c’étaient des lanciers et des hommes d’armes ! Ce serait une tache indélébile, faite à l’écusson de mon père. — Eh bien, mon jeune et pétulant ami, si vous pensez que le Sanglier est trop scrupuleux, pourquoi ne pas suivre le jeune duc de Gueldre ? — Autant vaudrait suivre le grand diable. Je veux vous le dire à l’oreille : c’est un fardeau trop pesant pour la terre… l’enfer s’ouvre pour l’engloutir… On m’a dit qu’il tient son père en prison, et même qu’il l’a frappé ! Pouvez-vous le croire ? »

Maître Pierre parut un peu déconcerté par l’horreur naïve avec laquelle le jeune Écossais parlait de l’ingratitude filiale, et lui répondit : « Vous ne savez pas, jeune homme, combien peu les liens du sang ont de force entre les hommes d’un rang élevé. » Puis quittant aussitôt ce ton sentimental, il ajouta en riant : « D’ailleurs, si le duc a battu son père, je réponds que son père l’a battu autrefois ; ainsi ce n’est qu’un compte soldé. — Je suis étonné de vous entendre parler de la sorte, » dit l’Écossais rougissant d’indignation : « lorsque l’on a des cheveux gris comme les vôtres, on devrait mieux choisir ses sujets de plaisanterie. Si le vieux duc a battu son fils dans son enfance, il ne l’a pas battu suffisamment ; car il aurait mieux valu qu’il fût mort sous les verges que d’avoir vécu pour faire rougir le monde chrétien qu’un tel monstre ait jamais été baptisé. — À ce compte, et de la manière dont vous critiquez le caractère des princes et des chefs, je crois qu’il ne vous reste rien de mieux que de vous faire capitaine vous-même ; car où un homme aussi sage trouvera-t-il un chef digne de le commander ? — Vous vous moquez de moi, maître Pierre, » répondit le jeune homme d’un ton de bonne humeur, « et peut-être avez-vous raison. Mais vous n’avez pas encore prononcé le nom d’un vaillant chef qui commande non loin d’ici à un corps d’excellentes troupes ; et sous lequel on aimerait assez à prendre du service. — Je ne devine pas qui vous voulez dire. — Eh ! mais, celui qui est comme le cercueil de Mahomet (maudit soit le faux prophète !) suspendu entre deux aimants ; celui qu’on ne peut appeler ni Français ni Bourguignon, mais qui sait maintenir la balance entre eux, et se faire craindre et servir par l’un et par l’autre, tout grands princes qu’ils sont. — Je ne devine pas qui vous voulez dire, » répondit de nouveau maître Pierre d’un air rêveur. « Eh ! de qui pourrais-je parler, si ce n’est du noble Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol, grand connétable de France ? Il sait