Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 19, 1838.djvu/80

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qu’il avait déployée jusqu’alors, lui dit d’un ton d’autorité : « Point de réplique, jeune homme ; faites ce qu’on vous ordonne. » À ces mots il quitta l’appartement en faisant signe à Quentin qu’il ne devait pas le suivre.

Le jeune Écossais resta pétrifié, ne sachant que penser de tout ce qui lui arrivait. Son premier mouvement le plus naturel, mais le plus noble peut-être, fut de regarder dans la coupe, qui était assurément plus d’à moitié pleine de pièces d’argent : le nombre en était tel, que jamais peut-être, dans le cours de sa vie, il n’en avait eu la vingtième partie à sa disposition. Mais n’était-ce pas compromettre sa dignité de gentilhomme que d’accepter l’argent d’un riche plébéien ? Cette question était embarrassante ; car, quoiqu’il eût fait un copieux déjeûner, cette somme ne pouvait lui suffire, soit pour retourner à Dijon, dans le cas où il voudrait, bravant le courroux du duc de Bourgogne, entrer au service de ce prince, soit pour se rendre à Saint-Quentin, s’il se déterminait en faveur de celui du comte de Saint-Pol ; car c’était à l’un de ces deux grands vassaux qu’il avait résolu d’offrir ses services, s’il n’entrait pas à celui du roi de France. Le parti auquel il s’arrêta, comme lui paraissant le plus sage dans les circonstances, fut de se laisser guider par l’avis de son oncle. En attendant, il mit les pièces d’argent dans son sac de velours, et appela l’hôte pour lui faire retirer la coupe d’argent, et en même temps pour lui faire quelques questions au sujet de ce marchand qui se montrait si libéral et si impérieux.

Le maître de la maison se présenta bientôt ; et s’il ne fut pas plus communicatif, au moins se montra-t-il moins avare de paroles qu’il ne l’avait été jusqu’alors. Il refusa positivement de reprendre la coupe d’argent ; elle ne lui appartenait pas, dit-il, mais bien à maître Pierre, qui en avait fait présent à son convive. Il avait, à la vérité, quatre hanaps[1] que lui avait léguées sa grand’mère d’heureuse mémoire, mais qui ne ressemblaient pas plus à ce beau morceau de ciselure qu’un navet ne ressemble à une pêche. Celui-ci était une de ces fameuses coupes de Tours, travaillées par Martin Dominique, lequel pouvait défier tout Paris.

« Et, s’il vous plaît, qui est ce maître Pierre qui fait de si riches présents à des étrangers ? » lui demanda Durward en l’interrompant. — « Qui est ce maître Pierre ? » répéta l’hôte en laissant tomber de sa bouche ces paroles une à une, comme s’il les eût distillées.

  1. Vieux mot français qui signifie coupe. a. m.