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CHAPITRE I.

nesse. Je fis face au danger, je supportai la fatigue, je m’expatriai, et je prouvai à l’étranger que j’allais visiter, que j’appartenais à une nation[1] qui, comme le dit le proverbe, est persévérante dans le travail, et facile à prodiguer sa vie. L’indépendance, comme la liberté pour le berger de Virgile[2], vint un peu tard ; mais enfin, elle vint, sans amener, il est vrai, un grand train à sa suite, mais de manière à m’assurer assez d’aisance pour figurer le reste de ma vie d’une façon convenable dans le monde, et de manière surtout à rendre un pauvre parent très-poli à mon égard, et à faire dire aux commères : « Je voudrais bien savoir qui le vieux Croft nommera son héritier ? il doit avoir amassé quelque chose, et je ne serais pas surprise que ce quelque chose finît par être plus considérable qu’on ne le pense. »

Mon premier mouvement, quand je revins dans mes foyers, fut de voler à la maison de mon bienfaiteur, le seul être dont j’eusse reçu des marques d’intérêt dans le moment de ma détresse. Il était grand preneur de tabac, et mon cœur avait mis une sorte d’orgueil à lui consacrer ipsa corpora[3] de la première vingtaine de guinées que j’avais pu amasser, et à les métamorphoser en une tabatière aussi soignée et aussi recherchée que Rundell et Bridge[4] pourraient en inventer. Pour plus de sûreté, je l’avais serrée dans la doublure de ma veste, et, impatient de l’offrir à celui auquel je la destinais, je volai à sa maison située dans… Square. À l’aspect de la façade, un sentiment de crainte s’empara de moi et m’arrêta. J’avais été pendant bien long-temps absent de l’Écosse ; mon ami avait quelques années de plus que moi, il pouvait avoir été appelé dans l’assemblée des justes. Je restai immobile et contemplai la maison, comme si son extérieur eût pu m’aider à former quelque conjecture sur la situation de ceux qui l’habitaient. Je ne sais pourquoi toutes les fenêtres du rez-de-chaussée étaient fermées, et, nul mouvement ne se faisant remarquer, mes sinistres pressentiments s’en augmentèrent. Je regrettai alors de n’avoir pas fait prendre des informations avant de quitter l’auberge où je m’étais arrêté en descendant de la voiture publique. Mais il était trop

  1. An iron race, une race de fer, dit Gray. a. m.
  2. Libertas : quæ, sera, tamen respexit inertem.
    Bucolica, Ecloga 1.

    La liberté,
    Elle vint un peu tard relever mon courage.

    Traduction de M. Tissot.
  3. C’est-à-dire, le métal même. a. m.
  4. Bijoutiers de la couronne, à Londres a. m.