Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 20, 1838.djvu/19

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REDGAUNTLET.



LETTRE PREMIÈRE.

DARSIE LATIMER À ALAN FAIRFORT.


Dumfries.


Cur me querelis exanimas tuis[1] ? — Ce qui peut se traduire ainsi : Pourquoi m’assourdissez-vous de vos jérémiades ? L’accent de tristesse avec lequel vous m’avez dit adieu à Noble-House, en montant sur votre misérable cheval de louage pour retourner à vos études de droit, retentit encore à mes oreilles. Il semblait dire : « Heureux coquin ! vous pouvez courir à plaisir par monts et par vaux, poursuivre chaque objet de curiosité qui se présente, et abandonner la poursuite quand elle perd son intérêt, tandis que moi, votre ancien en âge et en science, il me faut, dans cette brillante saison, revenir à mon étroite chambre et à mes livres moisis. »

Tel était, selon moi, le sens des réflexions dont vous attristâtes notre dernière bouteille de bordeaux, et je ne puis interpréter différemment vos adieux mélancoliques.

Et pourquoi en est-il ainsi, Alan ? pourquoi diable n’êtes-vous pas assis juste en face de moi en ce moment, dans cette auberge, à l’enseigne du Roi Georges, les talons sur le garde-feu, et votre front magistral laissant ses rides s’effacer lorsqu’un bon mot vous vient à l’esprit ? surtout pourquoi, quand je remplis mon verre de vin, ne puis-je vous passer la bouteille et dire : « À vous, Alan ! » Pourquoi, en résumé, tout cela n’est-il pas ? Pourquoi Alan Fairlord ne comprend-il point l’amitié dans un sens aussi vrai que Darsie Latimer, et ne veut-il pas mettre aussi nos bourses en commun aussi bien que nos sentiments ?

Je suis seul dans le monde ; mon unique protection est le tuteur dont les lettres m’annoncent une immense fortune, qui doit m’appartenir à vingt-cinq ans accomplis. Mon revenu annuel,

  1. Premier vers d’une ode d’Horace, livre ii. a. m.