Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/140

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n’avertissais pas les hommes qui doivent me suivre… et surtout un soldat si dévoué que vous, du moment où ils doivent endosser leur armure et se disposer à frapper de rudes coups. »

Ici la conversation tomba pour une minute ou deux, sans que l’un ou l’autre des deux interlocuteurs fût très content de son camarade, quoique ni l’un ni l’autre n’employassent d’arguments nouveaux.

Le Bernois, jugeant d’après les sentiments qu’il avait vus prédominer parmi les marchands de son propre pays, n’avait pas douté un seul instant que l’Anglais, en se voyant puissamment appuyé sous le rapport de la force, ne saisît cette occasion de refuser le paiement des impôts énormes qu’on devait lui demander aux portes de la ville voisine, impôts qui probablement, sans aucun effort de la part de Rudolphe, auraient nécessité une rupture de la trêve aux yeux d’Arnold Biederman lui-même, et une déclaration de guerre immédiate. D’un autre côté, le jeune Philipson ne pouvait ni comprendre ni approuver la conduite de Donnerhugel, qui, membre lui-même d’une députation pacifique, semblait être tout disposé à saisir la première occasion d’allumer le feu de la guerre.

Occupés de ces réflexions différentes, ils marchèrent quelque temps l’un à côté de l’autre sans échanger un seul mot. Rudolphe rompit enfin le silence.

Votre curiosité est donc satisfaite, seigneur Anglais, dit-il, relativement à l’apparition d’Anne de Geierstein ? — Loin de là, répondit Philipson ; mais il ne me semblerait pas convenable de vous fatiguer de questions lorsque vous êtes occupé des devoirs de votre patrouille. — Elle peut être considérée comme finie, car il n’y a plus autour de nous un seul buisson pour cacher un coquin de Bourguignon, et un regard jeté de temps à autre sur la campagne est tout ce qu’il faut pour prévenir une surprise. Écoutez donc l’histoire que je vais vous raconter, histoire qui n’a jamais été chantée sur la harpe, ni dans un salon, ni dans un bosquet, mais qui, je commence à le croire, mérite autant de célébrité que toutes celles de la Table-Ronde, que les anciens troubadours ou trouvères nous donnent pour chroniques authentiques de votre illustre homonyme.

« J’ose dire que vous avez déjà ouï parler suffisamment des ancêtres paternels de la famille d’Anne, et vous n’ignorez certainement pas qu’ils habitaient dans les vieux murs de Geierstein, auprès de la cascade, opprimant leurs vassaux, dévorant la sub-