Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/300

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nière fois. Si mon père allait arriver ! si Ital Schreckenwald allait revenir ! — Votre père est trop profondément occupé de ses sombres et mystérieux projets, répliqua la vive Helvétienne ; il s’est envolé vers les montagnes de Brockenberg, où les sorcières tiennent leur sabbat, où il est allé faire une partie de chasse avec le chasseur sauvage[1]. — Fi ! Annette, comment osez-vous parler ainsi de mon père ? — Il est vrai, je ne le connais guère personnellement, et vous-même vous ne le connaissez pas beaucoup davantage. D’ailleurs, comment tout ce qu’on raconte de lui serait-il faux ? — Et que raconte-t-on, jeune folle ? — Eh bien ! que le comte est un sorcier ; que votre grand’mère était un lutin, et le vieux Ital Schreckenwald un véritable diable incarné ; quant à ce dernier point, j’en ferais serment, quoi qu’il puisse être du reste. — Où est-il à présent ? — Il est allé passer la nuit au village pour veiller à ce qu’on logeât les gens du rhingrave, et pour le tenir en ordre s’il est possible ; car les soldats n’ont pas reçu la paie qu’on leur avait promise, et quand pareille chose arrive, rien ne ressemble plus qu’un lansquenet à un ours en colère. — Alors, descendons, ma fille ; c’est peut-être la dernière nuit d’ici à bien des années que nous pourrons passer dans une espèce de liberté. »

Je n’essaierai pas de décrire l’embarras marqué avec lequel Arthur Philipson et Anne de Geierstein se revirent : ils ne levèrent les yeux ni l’un ni l’autre, ne prononcèrent pas un seul mot intelligible tout en se souhaitant le bonjour, et la jeune fille elle-même ne rougit pas moins vivement que son modeste visiteur, tandis que la soubrette helvétique, vive et gaie, dont les idées sur l’amour se ressentaient des libertés d’un pays plus arcadien et de ses usages, regardait avec des sourcils un peu froncés, avec beaucoup d’étonnement et un peu de dédain, un couple qui, suivant elle, agissait avec une réserve si contrainte et si peu naturelle. Grandes furent et la timidité et la rougeur d’Arthur en offrant la main à la noble demoiselle ; et la demoiselle en acceptant cette politesse ne fut pas moins rouge, moins émue, moins embarrassée. Bref, quoiqu’il ne se passât rien ou presque rien d’intelligible entre ce couple si beau et si intéressant, l’entrevue ne manquait pourtant pas d’intérêt sous ce rapport. Arthur conduisit Anne par la main, comme c’était le devoir d’un galant cavalier de l’époque, dans la salle voisine où le repas était préparé ; et Annette, qui examinait chaque chose avec une singulière attention, sentit avec étonnement que les formes et

  1. Allusion à une superstition populaire en Allemagne. a. m.