Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/391

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dont l’étranger était toujours invité à prendre sa part, donnaient de nouveaux charmes à l’illusion et semblaient vouloir indiquer la Provence comme l’Arcadie de la France.

Mais la plus grande singularité était, aux yeux d’Arthur, l’absence totale de gens armés et de soldats dans cette paisible contrée. En Angleterre un homme ne sortait jamais sans son grand arc, son épée et son bouclier. En France, le laboureur portait des armes, même lorsqu’il était à la charrue. En Allemagne, vous ne pouviez pas faire un mille sur la grande route, sans que vos yeux fussent obscurcis par des nuages de poussière au milieu desquels on voyait par intervalle flotter des panaches et briller des armures. En Suisse même, le paysan, s’il avait un voyage à faire, ne fût-il que d’un mille ou deux, ne se souciait pas d’aller sans un haubert et son épée à deux mains. Mais en Provence tout semblait tranquille et paisible, comme si la musique du pays était parvenue à y assoupir toutes les violentes passions. De temps à autre ils pouvaient rencontrer un cavalier ; et toujours sa harpe attachée à l’arçon de sa selle ou portée par un de ses domestiques, le faisait reconnaître pour un troubadour, titre qu’ambitionnaient les hommes de tous les rangs, et alors seulement une courte épée qui descendait sur la cuisse gauche, destinée plutôt à l’ornement qu’à l’usage, était une partie nécessaire et indispensable de l’équipement.

« La paix, » dit Arthur en promenant ses regards autour de lui, « est un joyau inestimable ; mais il sera bientôt ravi à ceux dont ni les cœurs ni les bras ne sont préparés à le défendre. »

La vue de l’antique et intéressante ville d’Aix, où le roi René tenait sa cour, chassa ces réflexions d’un caractère général, et rappela au jeune Anglais la mission délicate dont il était chargé.

Il pria alors le provençal Thibaut de lui dire où ses instructions lui commandaient de le mener, alors qu’il était heureusement arrivé au but de son voyage.

« Mes instructions, répondit Thibaut, sont de rester à Aix tant que Votre Seigneurie pourra avoir besoin d’y demeurer, de vous rendre tous les services qui pourront vous être nécessaires, soit comme guide, soit comme serviteur, et de tenir ces hommes prêts à vous obéir quand il vous faudra des messagers ou des gardes. Avec votre approbation, je vais veiller à ce qu’ils soient convenablement logés, et recevoir de Votre Seigneurie les différents ordres qu’il lui plaira de me marquer ; je vous propose cette séparation parce que je comprends que vous désirez être seul pour le