Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/409

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toure n’est pas si bouleversé par cette horrible tempête et ces nuages furieux, que mon esprit l’est par le doute et l’incertitude. — Hélas ! répondit Arthur, je suis trop jeune et j’ai trop peu d’expérience pour conseiller Votre Majesté dans un moment si critique. Je voudrais que mon père fût lui-même auprès de vous. — Je connais d’avance ce qu’il me dirait, répliqua la reine ; mais sachant tout, je désespère de trouver assistance dans les conseils humains… J’en ai cherché d’autres, mais ils sont aussi sourds à mes prières. Oui, Arthur, les infortunes de Marguerite l’ont rendus superstitieuse. Sache que sous ces rochers, sous les fondations de ce couvent, se trouve une caverne où l’on pénètre par un passage secret et défendu, un peu à l’ouest du sommet, qui se prolonge à travers la montagne et se termine du côté du sud par une ouverture, d’où l’on peut, comme de cette terrasse, contempler le beau paysage qu’on voyait encore tout à l’heure de cette place, ou la lutte des vents et la confusion des nuages que nous voyons à présent. Au milieu de cette excavation souterraine est un puits, une perforation naturelle, d’une profondeur immense, inconnue. Quand on y jette une pierre, on l’entend frapper alternativement une paroi, puis l’autre, jusqu’à ce que le bruit de la chute, retentissant de roc en roc, s’éteigne en un son faible et lointain, moins fort que celui de la cloche d’un mouton à une distance d’un mille. Le peuple, dans son patois, appelle le gouffre terrible Lou-Garagoule ; et les traditions du monastère attachent des souvenirs bizarres et effrayants à un lieu déjà épouvantable en lui-même. Des oracles, dit-on, étaient rendus au temps du paganisme par des voix souterraines qui sortaient de l’abîme. Et l’on assure qu’une de ces voix promit en vers étranges et grossiers au général romain la victoire qui donne son nom à cette montagne. Ces oracles, assure-t-on, peuvent encore être consultés après l’accomplissement de rites étranges, où des cérémonies païennes se mêlent à des actes de dévotion chrétienne. Les abbés du mont Sainte-Victoire ont déclaré criminelle la consultation de Lou-Garagoule et des esprits qui l’habitent. Mais comme le péché peut s’expier par des cadeaux faits à l’Église, par des messes et des pénitences, la porte est quelquefois ouverte par les pères complaisants à ceux qu’une audacieuse curiosité conduit, à tout risque et par quelque moyen que ce soit, à vouloir pénétrer l’avenir. Arthur, j’ai fait l’expérience, et je reviens à l’instant même de la sombre caverne où, suivant le rituel qu’a légué la tradition, j’ai passé six heures au bord du gouffre, lieu si effrayant qu’après en avoir