Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/41

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élancé du ravin qui doit son nom à cette espèce d’oiseau, et après avoir involontairement tourné au dessus, battant des ailes et poussant des cris lugubres, il était venu se percher sur la pointe d’un roc, à quatre pas au plus de l’arbre où Arthur occupait sa précaire position. Quoique encore engourdi, jusqu’à un certain point, par la torpeur, il sembla encouragé par l’état immobile du jeune homme à le supposer mort ou mourant. Il se percha donc, et se mit à le regarder sans ressentir aucunement cette frayeur que les plus fiers animaux éprouvent ordinairement par le voisinage de l’homme.

Lorsqu’Arthur, s’efforçant de se soustraire à l’incapacité que produisait sur ses membres sa terreur panique, leva les yeux pour regarder lentement et avec circonspection autour de lui, il rencontra ceux du vorace et obscène oiseau, que sa tête et son cou dépouillés de plumes, ses yeux entourés d’une iris d’une couleur orange foncée, et sa position plus horizontale que droite, distinguaient autant du port noble et des proportions gracieuses de l’aigle, que celles du lion le placent dans les rangs de la création au dessus du loup maigre, grisâtre, rapace, et néanmoins lâche.

Comme arrêtés par un charme, les yeux du jeune Philipson restèrent fixés sur cet oiseau de sinistre augure, sans qu’il pût les en détourner. La crainte de périls tant imaginaires que réels pesait sur son esprit affaibli, effrayé qu’il était par les circonstances de sa position. Le voisinage si proche d’une créature aussi odieuse à la race humaine que peu disposée à rechercher sa compagnie paraissait aussi effrayant qu’il était extraordinaire. Pourquoi cet oiseau le fixait-il avec tant d’attention et d’avidité, avançant son corps hideux comme pour s’élancer sur sa propre personne ? Ce vautour était-il le démon du lieu auquel il avait donné le nom, et venait-il se réjouir de ce qu’un étranger, téméraire au point d’avoir pénétré dans son domaine, semblait enveloppé des périls qui s’y rencontraient, sans avoir ni espoir, ni chance de salut ; ou était-ce un vautour natif de ces rochers dont la sagacité prévoyait que le hardi voyageur était destiné à devenir bientôt sa victime ? Se pouvait-il que la hideuse bête, dont les sens passent pour être si fins, devinât d’après les circonstances la mort prochaine de l’étranger, et ne différât, comme un corbeau ou la corneille auprès d’une brebis mourante, de commencer son dégoûtant banquet que pour s’en donner ensuite plus à l’aise ? Était-il condamné à sentir le bec et les serres de l’oiseau avant que son cœur cessât de battre ? Avait-il déjà perdu sa dignité d’homme, cette terreur religieuse que l’être formé à l’i-