Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/78

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nom d’un misérable que j’ai tant de raisons de haïr. Une voix, partant du milieu des ruines, comme celle de l’écho soudain qui part du tombeau, répondit : « Ital Schreckenwald ! » Et l’infâme en personne, sortant du lieu où il était caché, se présenta devant moi avec cette singulière indifférence pour le péril qu’il unit à son atrocité de caractère. J’avais à la main mon bâton ferré de montagnard… Que devais-je faire… ou qu’auriez-vous fait en pareille circonstance ? — Je l’aurais étendu sur le carreau en lui brisant le crâne comme un morceau de glace ! » répondit l’Anglais avec fierté.

« Peu s’en fallut que je n’en fisse autant, reprit le Suisse ; mais il était désarmé ; il venait de la part de mon frère : je ne pouvais donc pas me venger sur lui. Son air imperturbable et son audacieuse conduite contribuèrent à le sauver. « Que le vassal du noble et illustre comte de Geierstein écoute les paroles de son maître, et fasse en sorte d’y obéir, dit l’insolent. Ôte ton bonnet et écoute ; car, quoique la voix soit mienne, ces paroles sont celles du noble comte. » Dieu et les hommes savent, répliquai-je, si je dois à mon frère respect et hommage. C’est déjà beaucoup si, par respect pour lui, je diffère de payer à son messager le salaire que je lui dois très certainement. Achève ta mission et débarrasse-moi de ta détestable présence. « Albert, comte de Geierstein, ton seigneur et le mien, continua Schreckenwald, ayant à s’occuper des guerres et d’autres affaires importantes, t’envoie sa fille, la comtesse Anne, la confie à tes soins, et te fait l’honneur de permettre que tu l’élèves et la soignes jusqu’à ce qu’il juge convenable de te la redemander ; enfin il désire que tu emploies en sa faveur les rentes et autres revenus des terres de Geierstein, que tu as usurpées sur lui. » Ital Schreckenwald, répondis-je, je ne prendrai pas la peine de te demander si l’insolence avec laquelle tu me parles vient d’instructions que t’aurait données mon frère, ou seulement de ton caractère ignoble. Si des circonstances ont, comme tu dis, privé ma nièce de son protecteur, je lui servirai de père, et jamais elle ne manquera de rien que je puisse lui donner. Les terres de Geierstein sont confisquées au profit de l’État, le château est en ruines comme tu le vois, et c’est principalement par suite de tes crimes que la maison de mes pères est ainsi délabrée. Mais Anne de Geierstein demeurera où je demeure ; elle sera traitée comme sont traités mes enfants, et je la considérerai comme ma fille. Maintenant que ta commission est remplie, pars… si tu tiens à la vie ; car il est périlleux pour toi de